Sweet and tender hooligan
Morrissey Your Arsenal (1992, Parlophone)
You’re gonna need someone on your side – “Tu auras besoin de quelqu’un à tes côtés” : c’est par ce titre programmatique que s’ouvre ce troisième album studio de Morrissey. Depuis la séparation des Smiths et la fin de l’alchimie créative unique qu’il avait trouvée avec Johnny Marr, le Mancunien n’a eu de cesse de chercher les bonnes personnes pour l’accompagner, un groupe en phase avec ses aspirations musicales, qui saurait le seconder fidèlement et avec qui le bonhomme – si peu enclin à accorder sa confiance – se sentirait suffisamment assuré pour travailler dans une relative sérénité. Avec Your Arsenal, Morrissey a trouvé ce qu’il cherchait.
With the world’s fate resting on your shoulders / You’re gonna need someone on your side / You can’t do it by yourself any longer / You’re gonna need someone on your side
You’re gonna need someone on your side
Après un premier LP formidable, ce Viva hate qui demeure une pièce un peu à part dans sa discographie, Morrissey devenait commun le temps d’un Kill uncle sans relief, pas honteux mais loin de ses standards passés. Poussé par son ami Mark Nevin, l’ex-figure de proue des Smiths s’encanaille quelque temps dans les clubs rockabilly de Camden où il finit par s’enticher d’une bande de petites frappes, un gang de musiciens un peu bas du front mais avec lesquels le courant passe étonnamment bien. Avec ce nouveau groupe en soutien – notamment le guitariste Alain White à la composition – éprouvé avec succès en tournée, Morrissey enregistre donc ce Your Arsenal, s’adjoignant par ailleurs le soutien d’un certain Mick Ronson, guitariste légendaire du Bowie 70’s. Loin d’être un détail, la présence en studio d’une figure du glam-rock n’est sans doute pas étrangère à la flamboyance électrique affichée ici. Entouré de son groupe de rockeurs, soudé comme un pack, Morrissey adopte un son différent, fait de guitares agressives aux riffs tranchants et d’une rythmique brute de décoffrage. Comme si le Moz revenait à ses amours de jeunesse et s’employait à rendre un hommage plein de sèves à ses idoles glam et punk des années 1970. Le disque est d’ailleurs parsemé de clins d’œil et de menus emprunts : Certain people I know reprend le riff du Ride a white swan de T.Rex tandis que I know it’s gonna happen someday marche sur les brisées du Five years de David Bowie, classique intouchable de Ziggy Stardust. Pour boucler la boucle, ce morceau sera repris par Bowie lui-même sur l’album Black tie, white noise.
We won’t vote Conservative / Because we never have / Everyone lies, everyone lies
Glamorous glue
Mais la nostalgie ne s’invite pas seulement dans les influences musicales de Morrissey, elle imprègne largement ses textes (comme souvent) : nostalgie d’une Angleterre populaire décapée par le thatchérisme, nostalgie d’une jeunesse perdue qui trouve des formes de solidarité dans l’expression d’une virilité brutale et le rejet nationaliste, entre hooliganisme (We’ll let you know) et extrême-droite (The National Front disco). Entre nostalgie et passéisme, patriotisme blessé célébrant une Angleterre populaire fracassée et tentation nationaliste, la ligne de crête arpentée par Morrissey s’avère d’ailleurs un poil casse-gueule, et les déclarations récentes pas franchement progressistes du bonhomme peuvent jeter une ombre sur le sens de ces morceaux. Difficile quand même de voir en The National Front disco autre chose que le portrait d’un jeune homme perdu conduit dans l’impasse par le miroir aux alouettes de l’extrême-droite. A côté de ce tableau d’une Angleterre désolée, Morrissey n’en oublie pas pour autant de chanter comme personne la solitude (Seasick, yet still docked) et l’amitié (You’re the one for me, fatty ou I know it’s gonna happen someday), le tout avec un humour dévastateur, émaillant ses chansons de piques acides et hilarantes, sans jamais s’épargner. On appréciera ainsi particulièrement l’entrain féroce qu’il met à entonner We hate it when our friends become successful, plein de ressentiment vachard empli de second degré mordant. Musicalement, l’album fait la part belle aux guitares rutilantes, loin de la prestance mélodique des Smiths, mais ma foi souvent fort efficaces, comme sur le pétaradant You’re gonna need someone on your side ou ce Glamorous glue (un peu trop) musculeux. Morrissey affiche un plaisir évident à jouer avec ses nouveaux comparses et à revenir vers les influences qui l’ont façonné, celles d’un rock électrique et rutilant, impur et populaire, des New York Dolls aux Jam. On pourra reprocher le manque de finesse de sa nouvelle équipe mais celle-ci s’y entend pour tracer des mélodies qui filent droit (cf. l’impeccable We hate it when our friend become successful ou The National Front disco). C’est pourtant quand il se dépouille que Morrissey se fait le plus bouleversant, le temps d’un Seasick, yet still docked charriant avec lui les réminiscences grandioses et nues du Please, please, please, let me get what I want des Smiths.
My love is as sharp as a needle in your eye / You must be such a fool to pass me by
Seasick, yet still docked
Sans atteindre les sommets de son successeur, le bouleversant Vauxhall & I, Your Arsenal n’en demeure pas moins un Morrissey bon cru, charmeur et inspiré, énergique et engageant, dont l’anglicité bravache et cabossée annonce la vague brit-pop qui ne tardera pas à déferler (pour le meilleur et pour le pire).
1 réponse
[…] la tournée ayant suivi Your Arsenal, dont le succès commercial et critique semble avoir replacé Morrissey en haut de l’affiche, […]