Variété française
Françoiz Breut La chirurgie des sentiments (2012, Believe / Caramel Beurre Salé)
Comme beaucoup, j’ai d’abord découvert madame Breut aux bras de monsieur A. C’était elle, mi-bienveillante mi-inquiétante, qui faisait tourner le chanteur en bourrique sur son Twenty-two bar de la révélation. C’était elle encore qui lui donnait la réplique sur quelques-uns des titres phares de cette inépuisable Mémoire neuve de 1995, Les hauts quartiers de peine ou Le travail notamment. Mais son intrigante présence méritait mieux qu’un second rôle et ce fut un premier album solo éponyme en 1997. Pour remarquable qu’il fut, ce disque demeurait néanmoins en grande partie la création de Dominique A., à l’ouvrage derrière l’ensemble des titres auxquels Françoiz Breut donnait chair et âme de fort belle façon. Il faudra la rupture pour que la Normande d’origine déploie davantage ses ailes avec son épatant Vingt à trente mille jours de l’an 2000. Mais la timide chanteuse rechignait encore à prendre réellement la plume, confiant à d’autres l’écriture de ses morceaux.
Les beaux jours finissent toujours par arriver
BXL Bleuette
Après ce disque marquant, j’avais je l’avoue perdu trace de la dame, qui poursuivait pourtant sa route à sa manière discrète, se consacrant aussi bien à ses activités d’illustratrice (de livres pour enfants notamment) qu’à sa passion musicale. Je manquais donc Une saison volée en 2005 puis A l’aveuglette en 2008 mais j’allais la retrouver avec grand bonheur pour ce disque très réussi paru l’an dernier. Et je découvrais ainsi que Françoiz Breut, si elle savait toujours très bien s’entourer (Don Nino, Stéphane Daubersy), prenait désormais en mains l’écriture de ses chansons sans perdre un instant ses formidables dons d’interprète.
Les champs de maïs craquent et chuchotent / Qu’il faut dormir pour mieux rêver / Rêver de valses et de baisers / De batifolages dans les prés / De bagatelles vites oubliées
Marie-Lise
Avec La chirurgie des sentiments, Françoiz Breut livre un disque pétillant d’inventivité, dont on se demande pourquoi les charmes et la fantaisie ne récoltèrent pas une partie au moins des suffrages recueillies par d’autres moins pourvues (d’Olivia Ruiz à Vanessa Paradis). Il y a d’abord cette voix, capable de porter aussi bien une gravité coupante qu’une fantaisie rieuse, sachant cajoler l’auditeur en conservant toujours une précieuse distance. Il y a surtout ces chansons vibrantes et foisonnantes, dépeignant avec le même talent l’étrange et parfois douloureuse alchimie des sentiments que les états d’âme d’un astronome ou d’un travailleur du nucléaire (L’ennemi invisible).
Nos belles heures, et jours passés / Sont maintenant loin derrière toi / Reçoit enfin cette vie inconnue / Elle est là, à te tendre les bras / Le temps arrange ces choses-là / Le temps arrange ces choses-là
Michka Soka
Au fil du disque, Françoiz Breut donne son interprétation toute personnelle de la notion de variété française, à laquelle on souscrira des deux mains. Le disque s’ouvre par BXL Bleuette, épatant et cinématographique hommage à Bruxelles, ville refuge de l’artiste depuis déjà plusieurs années. S’ensuit le merveilleux Marie Lise, morceau proprement chavirant qui tourne au rythme de son héroïne, évoquant à mes oreilles quelques unes des merveilles enivrantes de Jeanne Moreau et Serge Rezvani. Sur L’astronome, Françoiz Breut emprunte les combinaisons spatiales des regrettés Broadcast, qu’elle enfile également sur L’ennemi invisible. Des airs de bossa d’un Cabinet de curiosités sur lequel semble veiller un oiseau de paradis aux formidables constructions en allumettes du génial La chirurgie des sentiments, Madame Breut déploie un art du papillonnage infiniment séduisant, tapissant l’arrière-plan de ses chansons d’une vie grouillante et passionnante. On rendra définitivement les armes avec l’étourdissant Michka Soka, dont les “pap pap pap” sautillants rendraient jaloux Mathieu Boogaerts. Et l’album se conclut sur le bien nommé L’éclat du jour qui se déploie comme la lumière du soleil levant sur la ville au matin.
Ne retenir que la beauté qui nous entoure
L’éclat du jour
Grisé par ces retrouvailles lumineuses avec Françoiz Breut, on attendra la confiance au cœur les prochains signes qu’elle voudra bien nous envoyer.
1 réponse
[…] et souvent remarquable, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ici, via l’album La chirurgie des sentiments paru en 2012. On lui doit aussi une des plus belles chansons – françaises et pas seulement […]