Des bourgeons d’arc-en-ciel
The Boo Radleys Everything’s alright forever (1992, Creation)
Je vais écrire une banalité mais la perception qu’on peut avoir d’un album ou d’une chanson dépend fortement de la temporalité, ou plutôt des temporalités, dans lesquelles s’inscrit sa découverte. En clair, ce n’est pas la même chose d’avoir eu 20 ans en 1969 et de découvrir les Rolling Stones avec Let it bleed que d’avoir eu 20 ans en 2005 et de les écouter pour la première fois sur A bigger bang. Et c’est encore différent d’avoir eu 20 ans en 2005 et de s’initier aux Stones avec Let it bleed. Tout ces mots pour dire que mon expérience de cet Everything’s alright forever que je n’ai réellement écouté que depuis quelques semaines sera toute entière colorée par ma fréquentation assidue depuis près de 20 ans de son gargantuesque successeur, le bien-nommé Giant steps de 1993.
Will you come see me again ? My thoughts could tell you when but I don’t give them away
Spaniard
J’ignore quelle impression ce disque aurait produit sur moi si je l’avais écouté à l’époque de sa sortie mais je ne peux m’empêcher d’y entendre aujourd’hui tout ce qui annonce les futurs accomplissements du groupe, d’y voir comme les premières esquisses d’un songwriter talentueux (Martin Carr) mais tâtonnant encore.
Les Boo Radleys se forment en 1988 autour du songwriter en chef Martin Carr et de son acolyte Sice au chant. Ces quatre gars de Liverpool (eux aussi) enregistrent un premier album, Ichabod & I, en 1990 sur un label confidentiel mais qui leur vaut d’être repéré par le fameux label Rough Trade. L’aventure sera de courte durée, Rough Trade n’ayant le temps que de faire paraître un premier EP du groupe avant de mettre la clé sous la porte. Les Boo Radleys atterrissent alors chez Creation qui publie cet Everything’s alright forever en 1992.
Come stab it faster / The demon that’s inside me / That’s what you’re after / Do it quick – hurt me
Lazy day
A l’écoute de ces quatorze chansons, l’auditeur averti reconnaîtra donc quelques-uns des atouts qui brilleront de mille feux sur le fantastique Giant steps. Mais le béotien aura aussi tout loisir de profiter d’une bonne demie-douzaine de morceaux épatants. Everything’s alright forever donne à voir le spectacle d’un musicien ayant décidé de frotter les mélodies célestes des grands maîtres pop (Beatles, Beach Boys, Love) aux appétences bruitistes de toute une génération de groupes alors étiquetée comme la scène shoegaze. Mais Martin Carr semble hésiter quelque peu sur la voie à prendre, marchant tantôt prudemment dans les pas de géant de My Bloody Valentine (Firesky), choisissant ailleurs une voie plus pop, du fulgurant Lazy day au rayonnant Does this hurt ?. Le disque est ainsi nimbé dans une drôle de brume sonore, qui finit par empêcher une partie des morceaux de décoller (Losing it – Song for Abigail, Room at the top) alors qu’elle confère à d’autres une petite part de mystère. Mais c’est bien quand Carr parvient à sculpter la matière sonore plutôt que de l’étaler que ses chansons prennent une toute autre ampleur, comme sur l’impeccable Skyscraper ou l’introductif Spaniard beau comme l’aurore et sur lequel on entend déjà les trompettes qui résonneront sur Giant steps. Notons qu’il serait injuste de terminer cette chronique sans mentionner le rôle de Sice dans l’alchimie des Boo Radleys, son chant d’enfant délicat apportant une touche d’émotion particulière aux compositions de Carr.
Au final, Everything’s alright forever m’apparaît comme une sorte de disque bourgeon, qui allait produire bientôt des fruits à la saveur incomparable, on y reviendra très vite. Un arc-en-ciel en gestation n’en est pas moins joli à regarder…
1 réponse
[…] qu’une année à peine aux Boo Radleys pour faire éclore les prometteurs bourgeons d’ Everything’s alright forever. Une année pour éclaircir les brumes baignant les méninges du génial Martin Carr, une année […]