Premiers de la classe
The Auteurs New wave (1993, Hut)
Au commencement fût une chanson. Une chanson anonyme, entendue au début des années 1990 dans une boîte lyonnaise, l’une des rares à passer alors de la musique différente : du rock, de la pop, enfin tout sauf la soupe vulgaire déversée dans bon nombre de night-clubs par des DJ idiots. Cette chanson me galvanisait à chaque fois par son riff imparable, ses guitares alliant à la perfection puissance et élégance, cette voix bravache et pleine de morgue. Il fallut plusieurs mois avant que le lien ne se fisse entre cette chanson et ce disque (faut-il rappeler qu’Internet n’existait alors pas): cette chanson c’était Idiot brother et ce disque, ce formidable New wave avec cette pochette superbe et mystérieuse, à l’image de ce morceau prodigieux.
Originaires de Londres, les Auteurs fut le champ d’expression de l’ombrageux Luke Haines, chanteur, guitariste et songwriter en chef du groupe. Ancien étudiant en art et musicien précoce, Luke Haines réalisait avec cet album hors normes ce que la pop anglaise a pu offrir de mieux au cours des années 1990 (avec les La’s). Nourri aux mélodies sucrées de la meilleure pop anglaise (Kinks en tête) mais héritier aussi de la furie du punk, The Auteurs jouent une pop proprement somptueuse, portée haut par des guitares d’une classe folle, telles qu’on n’en avait pas entendu depuis le premier album de Television. New wave aligne douze (plus un morceau caché de haut vol) compositions superlatives, d’une élégance affolante, tendues, tenues et nerveuses, comme si Luke Haines jetait à la face du monde tout son orgueil sous forme de chansons. Haines se révèle en outre un parolier fort habile, aux textes emplis d’ironie et d’auto-dérision, avec ces histoires de stars hollywoodiennes déchues (How could I be wrong), de voituriers frustrés (Valet parking) ou de cambrioleurs à la petite semaine (Housebreaker). La référence à la politique des auteurs des cinéastes français de la nouvelle vague, au-delà du nom du groupe et du titre de l’album, se retrouve dans le caractère cinématographique des morceaux, entre flamboyance et audace, jouant avec talent de la rupture de rythme ou du travelling, parfait alliage de classicisme et de modernité.
Difficile de mettre en évidence un titre plutôt qu’un autre tant le disque se révèle extrêmement cohérent, d’une grande constance dans l’excellence. Outre l’immense et immortel Idiot brother et son riff lumineux en guise de refrain, on retiendra l’introductif Show girl et son intro pétaradante, les splendides et dépouillés Bailed out ou Starstruck aux contours finement surlignés de quelques touches de piano ou de traits de violoncelle. Mention aussi au magnifique Junk shop clothes, clin d’œil ironique au goût pour les vêtements de seconde main des groupes grunge, le non moins splendide How could I be wrong ou le nerveux et racé Early years qui complète à merveille Idiot brother.
Plus de quinze ans après sa sortie, ce disque demeure pleinement vivace, mettant sans problème un vilain coup de vieux à bon nombre de groupes en « The » apparus ces dernières années de l’autre côté de la Manche, et ridiculisant une bonne partie des neuneus de la brit-pop qui paradaient alors en une des gazettes. The Auteurs publieront un second disque en 1994, Now I’m a cowboy que je découvre tout juste (et qui leur vaudra leur seul « tube » – toutes proportions gardées – avec l’abrasif Lenny Valentino), puis le plus nerveux After murder park en 1996. Luke Haines se consacrera ensuite à plusieurs projets parallèles et notamment en 1998 avec Black Box Recorder et l’album England made me , remarquable recueil de comptines pop perverses. Il reformera les Auteurs en 1999 pour l’album How I learned to be a bootboy avant de mettre fin au groupe et d’entamer une carrière solo que j’avoue ne pas avoir suivi.
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[…] entre 1993 et 1996 trois albums marquants, dont un chef-d’œuvre impérissable avec son génial New wave de […]