Les couloirs aériens

Mojave 3 Spoon and rafter (2003, 4AD)

Ça commence comme l’envol d’une montgolfière. Une harmonie de voix nébuleuses répète quelques mots par-dessus une instrumentation flottante (guitare acoustique, guipures de pedal steel) et fait ainsi venir à notre esprit la vision de l’enveloppe multicolore du ballon ballottée doucement par la brise tandis qu’elle se gonfle d’air chaud. Puis, lancé par une phrase de piano, le morceau s’arrache à l’attraction terrestre avec la même lenteur gracieuse et imposante que l’aérostat, nous emportant avec lui dans sa nacelle pour quelques instants (neuf minutes) volés à la pesanteur, avant de finalement reprendre pied à terre avec la légèreté d’une plume. Avec ce somptueux Bluebird of happiness placé en ouverture de leur quatrième album, c’est peu dire que les Anglais de Mojave 3 réussissent une impressionnante entrée en matière, suscitant autant d’attentes que de craintes (d’être déçu) quant à la suite du disque.

Judy I can see your smile / Running with your hair all wild / Running for the weekend / Looking for the daylight in your eyes

Starlite #1

Mes fidèles lectrices et lecteurs se souviendront peut-être de ma profonde affection pour la musique du groupe mené par Neil Halstead et Rachel Goswell depuis 1995, faisant suite aux lavis électriques de Slowdive. Après un premier album de folk torpide et cotonneux dont je chéris encore aujourd’hui les moments les plus vibrants comme de précieux joyaux, Mojave 3 poursuivit sa route avec deux autres LP, dont il fût d’ailleurs question dans ces pages : le fort honnête Out of tune (1998) et le remarquable Excuses for travellers (2000), qui s’avère peut-être bien au final mon favori du lot. Sur ces deux disques, le groupe creusait peu ou prou le sillon d’une musique puisant ses influences de l’autre-côté de l’Atlantique, entre folk-rock, pop et country-blues diaphane, se plaçant résolument en marge des canons pop britanniques. Spoon and rafter poursuit dans cette veine tout en démontrant la volonté du groupe – et de Neil Halstead, figure de proue et songwriter en chef – d’enrichir son propos et d’apporter quelques tonalités différentes.

You used to watch him driving cars / You thought the world was so much faster / When he held you in his arms / You thought the world was so much nicer

Writing to St. Peter

Mojave 3 affiche déjà de plus vastes ambitions, comme en atteste le déjà mentionné Bluebird of happiness dont les effluves psychédéliques et les perspectives panoramiques évoquent fortement les envolées « floydiennes ». Ce psychédélisme bucolique se retrouve ainsi de loin en loin, comme sur ce Battle of the broken hearts qui semble tour à tour se rouler dans l’herbe et la fumer pour planer bien haut. Ce morceau illustre d’ailleurs, pour sa partie la plus enjouée, l’envie du groupe de Neil Halstead de délaisser un peu la lenteur qui semblait le caractériser pour adopter des tempos plus enlevés. Mojave 3 se fend ainsi de quelques perles pop allègres et lumineuses comme les remarquables Bill Oddity ou Starlite #1 sur lesquels l’électricité se permet même quelques saillies bienvenues. Plus loin, le groupe livre un Tinkers blues magnifique et florissant, qui entremêle melodica, synthétiseurs, guitares et chœurs en lévitation pour une merveille pop perchée quelque part entre XTC et Wilco. Mojave 3 s’offre aussi quelques incursions dans les paysages bucoliques de Neil Young, comme sur le sublime Between the bars placé en fin d’album, qui traverse au trot les grands espaces, sur la trace d’un banjo, d’un harmonica et d’une pedal steel. Curieusement, c’est quand le groupe se rapproche de ses bases, sur les ballades engourdies aux contours vaporeux, qu’il nous convainc le moins (enfin, toutes proportions gardées). On ne voit certes rien à reprocher à ces très beaux Hard to miss you ou She’s all up above mais Mojave 3 reste ici en terrain connu et a déjà fait mieux dans le même style, plus vibrant, plus fragile, plus crucial, même si Writing to St. Peter brille d’un bien bel éclat. On regrettera également la relative mise en retrait de Rachel Goswell, dont la voix n’apparait ici qu’en accompagnement et qui se contente le plus souvent de tenir la basse, alors que son chant constituait un ingrédient précieux dans l’alchimie du groupe, dont les plus beaux moments tenaient pour beaucoup dans la communion entre son timbre et celui d’Halstead.

If I had a line I’d be thinking of ways to get with it / But I got nothing just a moment to sing about nothing / Frozen in motion / We’re frozen in motion

Tinkers blues

Avec le recul, Spoon and rafter m’apparaît de plus en plus comme un album un peu bancal, sur lequel se côtoient vraies réussites et titres plus dispensables. Le disque plane cependant toujours suffisamment au-dessus du tout-venant pour qu’on s’y attarde, bien campé dans ses couloirs aériens, et confirmant que Mojave 3 est un groupe qui mérite d’être découvert ou redécouvert.

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