Le promeneur
Steve Gunn The unseen in between (2019, Matador)
Vous l’aurez sans doute remarqué mais ce blog n’est pas un blog d’actualité musicale. Ce n’est pas pour autant que je ne me tiens pas au courant des sorties et un des infinis plaisirs de la musique tient aussi dans sa faculté à nous faire voyager dans le temps et l’espace. Mais laissons de côté ces généralités pompeuses et concentrons-nous un instant sur cet album paru en tout début d’année et qui s’est attiré son lot de louanges – fort méritées – dans la presse spécialisée.
I see a glimmer / Across the wall, through the mirror / Out past the streets, beyond the weather / To that place no one seems to know
New moon
J’ignorais à peu près tout de ce fringant quadragénaire avant d’écouter The unseen in between mais j’ai fait l’effort depuis de me renseigner. Originaire de Philadelphie mais basé à Brooklyn, Steve Gunn use depuis une bonne quinzaine d’années les cordes de sa guitare au sein de la scène indie-rock US. En solo (une demie-douzaine d’albums depuis 2007), en duo (pour un disque aux côtés de Kurt Vile), en groupe (avec GHQ) ou en tant que sideman (toujours aux côtés de Kurt Vile, d’Angel Olsen ou de Michael Chapman), le garçon a su faire fructifier ses dons de guitariste virtuose au gré de ces multiples expériences et il apparaît aujourd’hui qu’il est temps pour lui de prendre davantage la lumière.
Mona came from the sea / Caught land gracefully / Night is cold but you know it felt so free
Vagabond
Sur la pochette de The unseen in between, Steve Gunn semble fermer l’étui de sa précieuse guitare avant de lever le camp. Cette imagerie voyageuse constitue l’évident fil rouge de ces chansons nomades, qui nous emmènent sur leurs pas élégants pour une délicieuse balade sous le ciel étoilé. Sans esbroufe et tout de parfaite justesse, Steve Gunn navigue entre folk dépouillé, mélodies limpides et sophistication rock avec une fluidité épatante. Maître du train et du tempo, il promène ainsi l’auditeur entre flânerie rêveuse (Luciano), transe électrique (New familiar), mélancolie ouatée (Stonehurst cowboy) et vertige de la fuite (Vagabond). Au final, le disque impressionne par la forme d’évidence qui en émane, un brio lumineux qui impose sa beauté tranquille avec douceur et fermeté.
Came back feeling so undone, without much to say / Sat for hours, stared at your flowers, found ways to hide the pain / Stole your car, drove real far, no one can explain
Stonehurst cowboy
Le disque s’ouvre sur un New moon qui porte bien son nom, déambulation baignée de lumière nocturne, enveloppante comme la tiédeur d’un soir d’été. Les teintes acoustiques prédominent aussi sur le très émouvant Stonehurst cowboy, sur lequel Steve Gunn rend un hommage sobre et profond à son père disparu en 2016. Luciano nous baigne d’une nonchalance volatile, flottant sur les ailes d’une nuée de cordes scintillantes. A côté de ces morceaux au tempo lent, Steve Gunn se montre aussi capable d’embardées plus enlevées, comme sur l’incontournable Vagabond, inspiré directement du film Sans toit ni loi d’Agnès Varda (que nous pleurons aujourd’hui) et qui trace sa route, bien résolu à pister l’horizon. Chance s’écoule avec une imparable grâce dans l’air sec du désert avant que ne déboule le fantastique New familiar, grande chanson de ce début d’année, sur lequel le Television de Marquee Moon semble ferrailler avec une boucle raga pour atteindre une forme d’incandescence impressionnante. Plus loin, Lightning field évoque quelque chose comme Kevin Morby reprenant House of Love. L’album se clôt sur l’ample ballade en majesté de Paranoid, fascinante chanson ascensionnelle qui prend le temps de s’arrêter planer un instant avant de s’envoler en looping sur les ailes d’une orchestration riche sans lourdeur.
The song he sings, it’s called « Paranoid » / They just made it up, it’s his favorite word / Not sure what it means, but it’s what he believes / And it’s coming from nowhere at all
Paranoid
Loin des modes du moment, The unseen in between constitue à coup sûr un des disques majeurs de ce début d’année (et sans doute de l’année entière) et représente au bout du compte l’énième confirmation que la musique n’a pas fini de nous emballer. Comme chantait les précieux et oubliés Moose : « I’ve got so much love, so little time ».
1 réponse
[…] son excellent The unseen in between, Steve Gunn défouraille ce morceau virtuose et hypnotique, qui vous conduira lentement mais […]