L’art délicat de la simplicité
John Lennon Imagine (1971, Capitol)
J’avouerai en préambule que je ne suis pas un « lennonien » très averti. Initié aux plaisirs musicaux durant les années 1990 principalement via la connexion Inrocks/Bernard Lenoir, la référence aux Beatles n’était pas forcément très présente chez les artistes que j’aimais, moins que celle au Velvet, à Neil Young, à Bowie ou aux Beach Boys. Sans doute était-elle suffisamment forte pour diffuser partout sans avoir à s’énoncer. Après avoir abordé peu à peu l’œuvre des Fab Four (sans en avoir encore fait le tour), je me suis davantage intéressé à Mc Cartney. Et je concède volontiers que Ram demeure de mon point de vue supérieur à ce pourtant excellent (et plébiscité) Imagine. Mon intérêt pour Lennon s’est en tous cas trouvé ranimé par la vision d’un fort bon documentaire diffusé récemment sur Arte qui me fit mieux connaître la vie et l’œuvre de l’homme aux lunettes rondes, d’où ce modeste billet sur cet album érigé depuis longtemps au rang de classique.
I was feeling insecure / You might not love me anymore / I was shivering inside / I was shivering inside
Jealous guy
Si je ne placerais pas Imagine au faîte de mon Panthéon personnel, loin s’en faut, je ne saurais pour autant passer sous silence ses indéniables qualités. Quatrième effort solo de l’ex-Beatles, après deux premiers essais expérimentaux commis avec Yoko Ono et l’acclamé John Lennon/Plastic Ono Band paru un an plus tôt, Imagine montre un Lennon balançant avec plus ou moins de bonheur entre différents genres : pop céleste et cristalline d’une pureté renversante (Jealous guy, Imagine), country vive et venimeuse (Crippled inside), rock psychédélique (I don’t want to be a soldier) ou rustaud (Give me some truth). Lennon touche par sa sincérité bluffante, celle-là même qui lui permet de déclarer sa flamme à Yoko Ono à tout bout de champ comme un enfant amoureux sans jamais paraître nigaud. C’est cette qualité rare qui lui permet sans doute de composer des morceaux comme Imagine ou Jealous guy, scies rebattues dont l’évidence et la parfaite simplicité ont su préserver la beauté malgré les milliers d’écoute et les récupérations de toutes sortes. Cet art précieux de la simplicité se retrouve sur les meilleurs titres de l’album, ce Oh my love comme esquissé sur un coin de nuage ou ce formidable Oh Yoko!, chant d’amour clair comme de l’eau de roche qui vient conclure l’album comme une pluie bienfaisante.
How can I go forward when I don’t know which way I’m facing ? / How can I go forward when I don’t know which way to turn ?
How
Imagine est cependant bien loin de montrer un Lennon en habits de saint, prêcheur pontifiant sur les vertus de l’amour et de la paix. Imagine la chanson se révèle en effet autant sceptique qu’utopiste et Lennon ne masque rien de ses moins reluisantes facettes. On pense bien sûr au vindicatif (et pas très glorieux) How do you sleep ?, missile enfiellé balancé à la gueule de Mc Cartney. On pense aussi à Jealous guy sur lequel Lennon apparaît pétri de faiblesses et d’incertitudes, fragile et apeuré. Lennon a ce mérite de se montrer à nu, de se livrer sans fard, de faire ce qui lui chante au risque des maladresses et des imperfections. La simplicité tant vantée plus haut se transforme ainsi parfois en facilité, le temps de quelques titres plus faibles comme le poussif Give me some truth ou It’s so hard.
You can shine your shoes and wear a suit / You can comb your hair and look quite cute / You can hide your face behind a smile / One thing you can’t hide is when you’re crippled inside
Crippled inside
Sans être un chef-d’œuvre absolu, Imagine n’en demeure pas moins un disque marquant, l’expression des beautés et des contradictions d’un artiste majeur. On n’oubliera pas de mentionner le rôle joué par la production de Phil Spector, qui contribue évidemment à préserver les bijoux du disque des outrages du temps.