Les beautés troubles de l’aurore
Catchers Mute (1994, Setanta)
C’était il y a déjà 25 ans. La découverte en parallèle des Inrockuptibles et de l’émission C’est Lenoir le soir sur France Inter faisait entrer dans ma vie un sacré courant d’air qui, depuis, n’en finit plus de souffler, dégageant devant moi un paysage sonore et émotionnel qu’il me semblait confusément attendre depuis longtemps et que je continue d’arpenter sans relâche. Parmi la bordée de groupes dont le nom défilait sous mes yeux interdits et dont quelques chansons – à cette époque pré-Internet – atteignaient mes tympans figurait les Catchers. Pour tout dire, ces derniers allaient des mois durant se résumer à deux titres enregistrés au vol Chez Lenoir sur bande magnétique, qui tournait tantôt sur la chaîne d’une chambre d’étudiant, tantôt sur l’autoradio qui accompagnait nos trajets entre la ville universitaire et la ville natale. Ce n’est que des années après que j’en vins à mettre la main sur Mute, premier album de ces Irlandais aujourd’hui oubliés, sauf sans doute pour celles et ceux de ma génération bercés par la même culture musicale.
My feet are in the water / Waiting for the tide to come / The whisper in the corner / Does its best to make me numb
Cotton dress
Au vu de ces quelques confessions, vous comprendrez aisément qu’évoquer les Catchers puisse à mes yeux revêtir des airs de madeleine proustienne. Pourtant, il ne s’agit pas ici de vous faire croire qu’on tenait avec les Irlandais un groupe majeur ou avec ce disque un évident chef-d’œuvre oublié, de ces trésors cachés qu’on ne cesse d’exhumer au risque de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Les Catchers eurent cependant leurs instants de grâce dont la touchante beauté , nimbée sans doute d’une once de nostalgie, me les rend précieux et leur confère une place dans ma petite histoire personnelle de la pop et du rock. Aujourd’hui oubliés – pas de notice biographique dans Allmusic, pas de notice Wikipédia en français, pas d’article dans le Dictionnaire du rock d’Assayas 1e édition – , les Catchers eurent pourtant leur heure de gloire à la sortie de ce premier album en 1994. Emmené par Dale Grundle et Alice Lemon, le groupe est repéré par le réputé label Setanta et leur premier single, l’épatant Cotton dress, leur vaut les honneurs de la presse musicale anglaise. Les Catchers font paraître Mute en septembre 1994 et l’album est extrêmement bien reçu par la critique des deux côtés de la Manche, le groupe charmant notamment les auditeurs français lors d’une Black session apparemment mémorable dont on peut trouver encore des traces ici ou là (mais que je n’eus pas le plaisir d’écouter alors). Il faut dire que les vents étaient alors porteurs pour la pop britannique et la vague brit-pop commençait à enfler avant d’atteindre son pic quelques mois plus tard. A côté du concours de bites Blur / Oasis et de la flamboyance du Pulp de Different class, la pop fragile et rêveuse des Irlandais offrait une alternative pour les cœurs romantiques et allait un temps profiter du courant.
She mourns the existence of time / Though she’s empty all she feels is tense / And so she passes here time / Dreaming for the strength of children
Beauty n°3
On aurait en fait du mal à rattacher les Catchers au courant brit-pop, et pas seulement parce que le groupe était Irlandais. Loin des attitudes de fiers-à-bras et des clins d’œil appuyés aux grands aînés de la pop made in Britain des figures de proue du mouvement, les Catchers jouaient volontiers profil bas, leur pop à guitares dégageant un halo de mystère parfaitement illustré par la pochette du disque montrant un personnage caché derrière un tambourin (ou un miroir circulaire ?). Les références du groupe se situent alors plutôt du côté de la pop ultra-mélodique des formations repérées sur la fameuse compilation C86, le tout saupoudré des mélodies vaporeuses à la Cocteau Twins et des guitares brumeuses de Ride ou d’autres groupes shoegaze. L’atout majeur du groupe, son exhausteur de goût, tient dans l’utilisation croisée des voix de Dale Grundle et d’Alice Lewis, les deux tantôt se répondant, tantôt fusionnant pour le plus grand plaisir de nos oreilles. On imagine volontiers que la paire était un couple (mais en fait, on n’en sait rien) mais leurs échanges s’avèrent souvent troublants, les deux regardant dans la même direction tout en donnant l’impression d’une éternelle distance, comme si tour à tour l’un ou l’autre gardait la main sur le bras de celui (celle) le (la) précédant pour ne pas qu’il (elle) s’éloigne.
My autum, no-one alive could touch her wisdom / Her glint was jewelled and fired in heaven’s pool / My precious cousin, my twin, my second skin / The only thing I ever fought to win
Song for Autumn
Cette sensation se dégage ainsi des meilleurs moments pop du disque, l’impeccable Cotton dress, toute d’innocence et de romantisme froissé en tête. Worm out et Country freaks sont aussi de ces épatantes chansons de bois vert à la sève tendrement acide mais j’avoue un coup de cœur plus marqué encore pour le formidable Apathy, morceau à la fraîcheur enivrante qui fait tourner la tête. Les Catchers se débrouillent (et plus encore) aussi dans le registre des ballades, avec un Sleepyhead vibrant dans un paysage brumeux et surtout, l’extraordinaire Song for autumn, classique bouleversant qui semble exprimer d’un même chœur l’amour et la peur de l’amour, merveille d’innocence et de lumière mêlées droit sortie du chant beau et fort de deux jeunes gens de tout juste 18 ans. L’album se clôt sur une autre perle, Epitaph, qui sonne comme un adieu apaisé à l’enfance, l’entrée d’un pas résolu dans les tourments et les beautés de l’existence. On regrettera simplement qu’à côté de ces brillantes réussites, l’album aligne une poignée de titres bien plus faibles (Jesus Spaceman ou Hollowed par exemple) visiblement placés là comme éléments de remplissage. Ce n’est pas une honte, c’est arrivé à bien d’autres mais c’est un peu dommage.
Meet me in the night, by riverside / Where I’ll be juggling with my mind / Whether to choose, whether to lose / Just me and my faithful friend / We’ll act on ’till the end / We are learners until we drop / We are learners until we drop / Keep me alive, keep me alive
Epitaph
Les Catchers passèrent une partie de l’année 1995 à tourner en première partie de Pulp et se firent signer aux USA par le label du légendaire Jac Holzman, ex-patron d’Elektra. La sauce ne prit cependant pas vraiment outre-Atlantique et le groupe mit un peu (trop) de temps pour sortir son deuxième album, un Stooping to fit (1998) encore parcouru de beaux moments mais pas au niveau de ce premier opus. La pop sensible des Catchers ne trouva plus beaucoup d’écho et le groupe disparut sans laisser beaucoup de traces. Dale Grundle a formé il y a quelques années un nouveau groupe, The Sleeping Years, dont je ne sais rien.