Les flamboyants
The Stone Roses S/T (1989, Silvertone Records)
Amis d’enfance, Ian Brown et John Squire forment leur premier groupe à Manchester dès 1980 sous le nom de The Patrol. Ce premier essai éphémère marque le début de plusieurs années durant lesquelles les deux compères vont vainement s’efforcer de se faire une place au sein de la foisonnante scène mancunienne. Les Stone Roses voient officiellement le jour en 1984 et après quelques concerts, ont l’opportunité d’enregistrer un premier album avec le légendaire Martin Hannett aux manettes. Le résultat ne satisfait finalement personne et est remisé aux oubliettes. L’avenir du groupe semble définitivement bouché mais sa rencontre avec le manager Gareth Evans, propriétaire du club The International, rival de la fameuse Factory de Tony Wilson, va changer le cours de l’histoire. Les Stone Roses commencent à faire évoluer leur musique vers quelque chose de plus mélodieux, et le single Sally Cinnamon qui paraît en 1987 commence à attirer une certaine attention. Peu de temps après, le départ du bassiste Pete Garner, remplacé par Gary « Mani » Mounfield équivaut à l’assemblage de la dernière pièce qui manquait pour propulser les Stone Roses vers les étoiles. Tout s’enchaîne alors très vite pour le groupe qui dégaine une série de singles (Elephant stone, Made of stone) pavant son chemin d’or avant la parution de son finalement très attendu premier LP, The Stone Roses qui arrive dans les bacs comme une tornade avec le printemps 1989. Désormais, et pendant quelques mois, le monde sera aux pieds des Stone Roses.
I don’t have to sell my soul / He’s already in me / I don’t need to sell my soul / He’s already in me
I wanna be adored
On n’ira pas par quatre chemins en affirmant d’emblée que The Stone Roses est un disque fabuleux. Musicalement, le groupe combine une brillance mélodique directement influencée par le folk-rock carillonnant des Byrds et les descentes d’arpèges des Smiths avec un sens du groove se faisant l’écho de la vague rave et acid-house déferlant alors sur Manchester en même temps que les pilules d’ecstasy. L’ensemble est saupoudré d’une bonne dose de turgescences électriques digressives d’inspiration psychédélique qui colle parfaitement aux humeurs droguées d’une jeunesse anglaise en pleine montée de sève. Ce mélange d’influences nourrit des chansons majuscules, portées par un feu intérieur qu’on imagine savamment entretenu durant les années de vaches maigres de Brown et Squire. Les Stone Roses allient ainsi la morgue et l’élégance avec un brio jamais vu depuis sans doute le premier album de Television. Persuadés d’être le meilleur groupe du monde, les Stone Roses ont les chansons et l’attitude qui vont avec cette ambition qui ne semble pour le coup jamais démesurée.
Sometimes I fantasise / When the streets are cold and lonely / And the cars they burn below me / Don’t these times fill your eyes / When the streets are cold and lonely / And the cars they burn below me
Made of stone
The Stone Roses ne contient ainsi pas seulement des chansons, mais des revendications, des proclamations et même une condamnation (sans appel) contre celle qui oserait disputer au groupe le trône d’Angleterre (l’anathème doucereux Elizabeth my dear construit sur les plans du Scarborough fair de Simon & Garfunkel). L’album s’ouvre sur l’époustouflant crescendo de I wanna be adored, sommation jetée comme une évidence par le chant tout de nonchalance morveuse de Ian Brown, tandis que John Squire fait claquer un riff mémorable. Ajoutez à cela la rythmique souple et brûlante bâtie par le batteur Reni et le bassiste Mani et vous obtiendrez les ingrédients qui portent ce disque tout du long vers l’excellence. Les quatre comparses font corps comme les plus grands gangs rock et les chœurs glorieux qui embrasent la plupart des morceaux traduisent à merveille la force naissant de leur unité. Mais cette belle arrogance ne serait pas grand chose si elle ne supportait pas des chansons souvent exceptionnelles, nourries d’un sens de l’accroche mélodique stupéfiant. Les chansons de The Stone Roses sont de ces airs qui colonisent le cerveau, se sifflent sous la douche et se chantent à tue-tête l’autoradio à fond. Au fil des écoutes, nos préférences varient, passant de la fougue farouche de She bangs the drums à la fraîcheur voltigeuse de Bye bye badman, de la transe intense de This is the one à la somptuosité de (Song for my) Sugar spun sister. Et au milieu de cette efflorescence, on reviendra sans cesse à la splendide unisson de Made of stone, incroyable chanson « avion à réaction » qui nous fait vibrer longtemps après son passage (et fortement inspirée du Velocity girl de Primal Scream). L’album se clôt avec la même arrogance flamboyante qu’à son entame avec le génial I am the resurrection, proclamation d’indépendance hédoniste jetée à la face du monde.
Kiss me where the sun don’t shine / The past was yours / But the future’s mine
She bangs the drums
Pendant quelques mois, les Roses seront donc l’épicentre du mouvement Madchester qui incendia toute l’Angleterre au tournant des années 1980-1990. Après le concert géant de Spike Island qui attira plus de 30000 personnes, les choses allèrent rapidement se gâter pour les glorieux Mancuniens. Engagés dans une pénible bataille juridique pour se dégager de leur label, cramés par les drogues, le groupe mit plusieurs années à donner une suite à ses prodigieux débuts. Ce second opus, Second coming noyé de volutes psychédéliques et qui parut en 1994 ne fit que sceller le constat que le charme était rompu. Le groupe se délita rapidement après ça mais sa trace est demeurée profonde. Près de trente ans après, The Stone Roses n’a rien perdu de son brûlant brio et l’album à la fois contribua à décloisonner le rock et la dance tout en semant parallèlement les graines pour la future vague brit-pop.