Ryan Adams Prisoner (2017, PAX AM / Blue Note)
Celui-là, j’avoue, j’étais passé à côté. Ryan Adams aura pourtant donné de sa personne en enquillant pas moins de 16 (!) albums studio depuis le début de ce siècle, et ce dans la foulée d’une carrière déjà remarquée avec son groupe Whiskeytown à la fin du siècle précédent. Pourtant, malgré cette production pléthorique, je crois n’avoir – avant ce Prisoner – écouté qu’un ou deux titres du bonhomme, période Gold (2002), à l’époque où tout semblait lui promettre un destin doré. Même si j’ai depuis refait une maigre partie de mon retard, je ne pourrai donc pas me risquer à comparer ce dernier LP en date de l’enfant de Jacksonville avec ses précédents opus. Je me bornerai à simplement constater que le sieur Adams nous offrit l’an dernier un disque de fort belle facture, tout de rude classicisme boisé, et renverrai ceux et celles intéressé.e.s par le parcours du bonhomme à ces deux épisodes de l’émission Very good trip de Mischka Assayas.
Cars don’t move in the middle of the night / Lost inside the void of the fading tail / Swear I wasn’t lonely when I met you girl / But I was so bored
Outbound train
Avec Prisoner, Ryan Adams apporte une énième confirmation que la qualité ne dépend pas de l’originalité. Il n’est pas question ici de grand bond en avant, de recherches formelles poussées ou d’avant-garde, mais juste d’un type qui se sert des armes que le talent et le travail lui ont permis de développer pour exprimer ce qu’il a sur le cœur. Et pour paraphraser Kaamelott, le garçon «en a gros », marqué par un divorce difficile à encaisser. A ce stade, on conviendra que Ryan Adams s’évertue à fouler allègrement tous les sentiers battus de la geste rock, en déclinant le long des douze morceaux de Prisoner autant de figures de son petit précis de décomposition amoureuse. Tout frénétique féru de nouveautés aura sans doute déjà cessé la lecture de ces lignes en se jurant de ne pas perdre une seconde avec ces vieilles lubies. Et pourtant…
The problem is what we wanna say / What we wanna say would just blow us both away / It’s last call and it just rang / Everything we were is going down and endless drain
Broken anyway
Je n’essaierai pas de vous faire croire qu’on tient ici l’album du siècle mais on tient assurément un recueil de chansons de haute tenue, affichant autant de failles que de prestance. Ryan Adams joue un pop-rock empli d’un classicisme au beau visage buriné, quelque part au croisement entre Springsteen et Morrissey. Les morceaux naviguent entre acoustique et électrique, le tout mis en valeur par une production impeccable, qui ouvre toutes les fenêtres de ces chansons percluses de douleurs intimes et leur évite de verser dans l’auto-complaisance. Prisoner se révèle ainsi plus réconfortant que démoralisant, et démontre une fois de plus les vertus inépuisables de cette bonne vieille catharsis. La voix de Ryan Adams apporte un supplément d’âme évident à l’ensemble, charriant avec elle tour à tour colère et renoncement, pudeur et amertume. C’est ainsi elle qui habille d’un voile râpeux le vibratile Shiver and shake ou qui accompagne en force les déflagrations électriques de l’introductif Do you still love me ?. Parmi les sommets de l’album, je placerai sans hésiter le superbe Prisoner, quasi-berceuse déchirante qui allie merveilleusement robustesse et fragilité. A l’exception de cette chanson, ce sont les titres les plus nerveux qui brillent avec le plus d’intensité, ceux sur lesquels les guitares sont les plus affûtées et s’emploient à percer la grisaille qui s’abat sur le cœur de notre chanteur abandonné. Ce sont ainsi ces Doomsday, Broken anyway, Outbound train ou encore l’épatant Anything I say to you know qui donnent tout son éclat et sa vigueur à ce disque qui dresse pourtant le sombre constat d’une relation qui meurt.
Crush it up into a paper ball, let it fly / It hits the wall, it hits the trashcan on the side (Anything I say to you now)
Anything I say to you now
Au bout du compte, et comme attendu, l’album semble accompagner le cheminement de Ryan Adams vers une forme de cicatrisation, à tout le moins d’acceptation de ce qui vient de finir sous ses yeux. Et le possiblement déprimant We disappear terminal apparaît autant comme le constat d’une inéluctable perte que comme la perspective d’un nouveau départ, peut-être annoncé par les quelques éclats de rire qui surgissent alors que les fuzz de guitares zèbrent la coda du morceau.