Rêve américain
Midlake The trials of Van Occupanther (2006, Bella Union)
Il est des disques dont le charme agit sur nous de but en blanc, qui nous embrasent et nous foudroient dès la première écoute. Avec certains de ceux-là, la relation demeurera forte et intense, chaque nouvelle écoute venant conforter les premiers emballements et les raffermir encore; pour d’autres, il arrivera que le temps vienne peu à peu doucher les transports des premiers émois. Il est en revanche des disques qui s’apprivoisent à la longue, dont l’abord est moins évident, dont l’étincelle ne nous enflamme qu’après coup. J’ai ainsi d’abord apprécié de disque de Midlake comme un bon album que j’écoutais avec plaisir puis je l’ai gentiment remisé, me livrant à d’autres découvertes. J’y suis revenu il y a peu et ces chansons ont cette fois si bien su faire leur chemin qu’elles vampirisent allègrement mon paysage mental et musical depuis une dizaine de jours, au point de me faire rater ma sortie d’autoroute la semaine dernière.
Originaires de Denton au Texas, Tim Smith, Paul Alexander, Eric Nichelson, Eric Pulido et Mckenzie Smith forment Midlake en 2000. Repéré par Simon Raymonde (ex-Cocteau Twins) , le groupe publie un premier album en 2004, sous le titre étrange (déjà) de Bamnan and slivercork. Le disque reçoit plutôt de bonnes critiques mais ne sort pas vraiment du lot. Rien ne laissait présager la métamorphose impressionnante représentée par ce deuxième opus, The trials of Van Occupanther, au titre aussi abscons que sa pochette est laide. Sur ce disque proprement fascinant, on peut entendre des réminiscences de Coldplay, Radiohead, Robert Wyatt, Fleetwood Mac ou Gene Clark. On peut surtout entendre un groupe au sommet de son art, délaissant ses penchants synthétiques du premier album pour une musique profondément organique, s’inspirant sans passéisme aucun du meilleur de la pop et du rock américains des années 1970. Si Midlake fait souvent penser à Radiohead – et ce jusqu’au chant de Tim Smith dont les inflexions rappellent fortement celles de Thom Yorke, en moins émotionnel – ce serait alors un Radiohead ayant délaissé ses orientations électro pour un retour aux instruments vintage, se rapprochant des grandes heures de Neil Young plutôt que d’Aphex Twin, moins éclaireur que décalé.
A l’image de Sparklehorse, Midlake joue une musique entre ciel et terre, à la fois bien ancrée dans le sol et profondément onirique. Les chansons de Midlake sont ainsi remplies de grands espaces, de ciels étoilés et d’hommes humbles, un peu perdus, cherchant juste un peu de chaleur dans un monde qui les dépasse et les éblouit à la fois. Ces chansons s’écoulent comme un fleuve majestueux, charriant avec lui des pans entiers de la musique américaine pour les régénérer et se jeter avec eux dans l’inconnu de l’océan, ces « unconquered seas » que le groupe chante sur le remarquable In this camp. L’album éblouit par sa profondeur de champ, sa luxuriance rare, chaque écoute venant révéler de nouvelles facettes, de nouveaux recoins de ce jardin extraordinaire.
Le disque s’ouvre avec le stupéfiant Roscoe, pour le coup classique instantané, morceau tempétueux roulant de lourds nuages noirs venant crever en fin de course dans un éclair de guitares électriques. Chaque chanson (ou presque) mériterait qu’on s’y attarde. Bandits ou l’incroyable In this camp évoquent ainsi les mélodies mouvantes de l’intouchable Robert Wyatt, le chant de Tim Smith excellant dans l’expression d’une mélancolie résignée (« I’d rather stay here / Cause the North is too far away ») . On retiendra aussi le superbe Head home, rencontre idéale entre Neil Young et le meilleur Fleetwood Mac, ou surtout le magnifique Young bride, tendre et triste à la fois, euphorique et douloureux. Midlake offre aussi des ballades boisées saupoudrées de poussière d’étoiles comme le bouleversant Van Occupanther, dont le doux balancement ne manque pas de nous chavirer le cœur, ou encore ce morceau final gigantesque, You never arrived, qui nous démontre qu’il est possible d’atteindre le soleil en moins d’une minute quarante.
Après pareille pluie de bienfaits, ne reste plus qu’à réenclencher la touche play, pour s’offrir quelques instants de plus dans le pays des merveilles de Midlake. Le groupe s’apprête à publier un nouvel album cette année, je me demande s’il sera capable de renouveler un tel coup d’éclat.
4 réponses
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