Les 4 as
Crosby, Stills, Nash & Young Déjà vu (1970, Atlantic)
Compte tenu du succès rapide rencontré par son premier opus et du fait que Stephen Stills jouait sur celui-ci de la majorité des instruments (batterie exceptée, celle-ci confiée aux bons soins de Dallas Taylor), le trio magique dut trouver des musiciens additionnels pour pouvoir se produire en concert. Ahmet Ertegün, le boss d’Atlantic, suggéra alors aux trois compères de s’adjoindre les services de Neil Young, déjà partie prenante de l’aventure Buffalo Springfield aux côtés de Stills quelques mois plus tôt et alors à l’orée d’une carrière solo monumentale bien lancée avec le formidable Everybody knows this is nowhere paru un an auparavant. Pas question pour une telle recrue de ne pas avoir son nom en haut de l’affiche et CSN devint CSN&Y à l’été 1969, pour débuter une tournée qui allait conduire le désormais quatuor sur la scène de Woodstock le 18 août 1969. Évidemment, participer à un tel événement – malgré les réticences d’un Young peu porté sur ce genre de grand messe et qui refusera d’être filmé pendant la prestation du groupe – ne pouvait qu’accroître la popularité du « super-groupe » et les attentes suscitées par ce Déjà vu qui déboula dans les bacs début 1970.
I almost cut my hair / It happened just the other day / It was gettin’ kinda long / I could-a said, it was in my way / But I didn’t and I wonder why / I feel like letting my freak flag fly
Almost cut my hair
J’ai pendant longtemps seulement connu cet album avant de découvrir son prédécesseur à trois voix et j’ai longtemps admiré sa cohérence pour un disque résultant de l’addition d’aussi fortes personnalités. Celle-ci me semble aujourd’hui moins évidente que sur Crosby, Stills & Nash et ce dernier s’avère sans doute plus homogène. Difficile de toutes façons d’imaginer que l’apport d’un électron aussi libre que Young ne modifie pas la structure de l’atome avec lequel on le faisait entrer en collision. Sur Déjà vu, chacun apporte son écot de façon équitable malgré les tensions qui agitent le trio : deux compositions chacun, auxquelles il faut ajouter une co-production Stills/Young et une reprise d’un titre de Joni Mitchell. On s’amuse donc à l’écoute à identifier les styles caractéristiques de ces quatre as de la plume, à admirer par exemple les teintes pop apportées au folk par Nash ou les inflexions country-rock de Young. Malgré les pistes différentes que chacun de ces fortes têtes entend tracer et les dissensions qui ne manquent pas de se produire, Stills et Young appuyant d’un côté, Nash et Crosby de l’autre, l’alchimie qui se crée dans l’interprétation de ces morceaux confère à l’ensemble une beauté particulière qui rehausse leurs qualités intrinsèques (souvent élevées). Et la friction de ces egos génère une dynamique assez féconde pour que Déjà vu soit réussi.
No pass out sign on the door set me thinking / Are waitresses paying the price of their winking? / While stars sit in bars and decide what they’re drinking / They drop by to die ’cause it’s faster than sinking
Country girl
L’introductif Carry on offert par Stephen Stills ouvre le bal de fort belle façon : après une première partie menée au trot d’une guitare folk, le morceau bifurque en son milieu et décolle sur un tapis de clavier vers un paysage plus psychédélique, qui rappelle certaines heures des Doors, le tout porté par des harmonies vocales de haute volée. Stills se montre d’ailleurs en verve et se fend plus loin en solitaire d’une ballade nue en rupture avec la profusion instrumentale de ce premier titre, 4+20. Parmi les sommets du disque, David Crosby n’est pas en reste avec ce Almost cut my hair bravache et symbolique de la contre-culture de l’époque, porté par des guitares abrasives, dont celle de Young. Le jeu de guitares de Young allume d’ailleurs au fil du disque des brasiers que ne contenait pas le premier opus de Crosby, Stills & Nash, et ce n’est pas le moindre des apports du Canadien. Un autre est le très émouvant Helpless, devenu depuis un classique de country-rock endolori , auquel je préfère cependant la puissance vacillante du formidable Country girl . Crosby se hisse à la hauteur avec l’impeccable Déjà vu, volée de bulles multicolores soufflées devant le soleil du désert. Et alors que je le trouve plus en retrait sur Crosby, Stills & Nash, Graham Nash se surpasse ici avec le somptueux Our house, qui repeint en beauté les jours passés avec Joni Mitchell. Le groupe livre d’ailleurs une version électrifiée brillante du morceau Woodstock composée par la dame, marraine et âme sœur du quatuor. Une façon aussi pour lui d’affermir dans la mémoire de son public le souvenir de sa prestation durant le célèbre festival.
I’ll light the fire, you place the flowers in the vase that you bought today / Staring at the fire for hours and hours while I listen to you / Play your love songs all night long for me, only for me
Our house
Le disque recevra un accueil enthousiaste et connaîtra un énorme succès public. Mais un assemblage aussi explosif ne pouvait très longtemps tenir ensemble et c’est l’indomptable Young qui s’en ira très vite poursuivre sa voie royale avec le magistral After the gold rush, qui pour le coup surpasse le niveau de cet album. Crosby, Stills & Nash sortiront aussi chacun son tour un premier album en solo dans les mois qui suivront. Mais l’aventure CSN(&Y) n’en finira pas pour autant.