Ron Sexsmith Whereabouts (1999, Interscope)
A côté des figures stéréotypées qui composent la mythologie rock, entre les superstars et les perdants magnifiques, les étoiles filantes et les anciennes gloires sur le retour, il est bon de temps en temps de poser une oreille attentive sur les petits miracles semés au fil de leur parcours par d’humbles artisans œuvrant loin des projecteurs. Nul doute que Ron Sexsmith pourrait émarger à cette catégorie – certes artificielle – des façonniers aux mains d’or, polissant dans un anonymat ingrat des chansons emplies de beautés lumineuses et boisées qui devraient, dans un monde parfait, valoir à leur auteur la reconnaissance publique et les retombées – y compris sonnantes et trébuchantes – qui vont avec.
Put this kid in a candy store / Let him run around until he drops / Then just like a bull in a China shop / Everything came crashing down
The idiot boy
Après avoir, dans les années 1990, imposé (furtivement) dans le paysage sa bouille joufflue d’adulescent mal dégrossi par la grâce de deux – si on écarte un premier essai à la distribution confidentielle – albums franchissant chacun de nouveaux paliers dans l’excellence pop, le Canadien à l’allure si placide poursuivait son chemin, discret et magnifique, avec ce Whereabouts qui parvenait sans effort apparent à surpasser ses pourtant brillants prédécesseurs. Toujours assisté du fidèle Mitchell Froom à la production, Ron Sexsmith semble ici gagner en confiance et laisser libre cours à des ambitions instrumentales qui affleuraient déjà ici et là sur ses deux albums précédents. Après les teintes hivernales de Ron Sexsmith (1995) et les climats de mi-saison du superbe Other songs (1997), on pourrait dire que Whereabouts navigue entre l’été et l’automne, entre prairies verdoyantes et sous-bois repeints d’orange et d’or. Ron Sexsmith continue de déployer un savoir-faire épatant pour délivrer des mélodies qui coulent de source, à la fausse simplicité désarmante. Il étoffe ces airs limpides d’une orchestration enrichie, parfaitement ajustée à ces chansons qui n’ont d’autre ambition que de chroniquer avec une finesse d’orfèvre les émotions de tous les jours. Pas de débordement lacrymal ni de souffle glorieux chez Ron Sexsmith, mais des chansons à fleur de cœur, qui pointent avec une infinie justesse nos petites fêlures et nos soupirs, nos mélancolies familières et nos joies éphémères.
The squinting of her eyes when she smiles / The glinting of sun in her hair / She wets her lips and takes a sip of / Her tea as I try not to stare / And though I try not to / It’s such beautiful view
Beautiful view
Pour humbles que soient ses chansons, le Canadien fait montre ici d’une réelle ambition artistique, le poussant à se confronter sans complexe avec ses influences les plus éminentes, allant piocher avec autant de bonheur dans ces musiques dorées à l’or fin du côté de Liverpool ou de Los Angeles. L’album s’ouvre sur le doux balancement de Still time, à la mélancolie majestueuse digne des belles heures de Mc Cartney. Sur le sensuel et languissant Right about now, Sexsmith pare sa musique d’influences plus soul vers lesquelles il s’aventurera régulièrement dans le futur. Ces mêmes influences se retrouvent en plus enlevées sur un Must have heard it wrong à rendre jaloux Elvis Costello. Je ne passerai pas en revue toutes les chansons de l’album mais quelques joyaux méritent une mention particulière. C’est ainsi le cas du somptueux Riverbed, dans le cours duquel cordes et mandoline se marient avec une grâce belle à pleurer. Sexsmith place une autre ballade à fendre l’âme avec le Seem to recall final, merveille nostalgique à l’équilibre parfait. Notre homme est capable aussi de se faire plus alerte sans perdre en éclat. Ce sera par exemple le classique mais diablement efficace Feel for you ou le génialissime Beautiful view, merveille de chanson d’amour à l’exaltation bouleversante qui renversera ceux et celles qui ont déjà senti le sang accélérer dans leurs veines à la vue de l’être aimé. Sur One grey morning, Sexsmith démontre qu’il est aussi capable de faire preuve d’un vrai sens du swing et son Every passing day n’aurait pas juré au répertoire d’une Carole King.
Seems we’re always racing / With trouble too close behind / We may never win / But where there’s still hope / There’s still time
Still time
Whereabouts demeure pour moi le sommet de la discographie du Canadien mais j’avoue piteusement n’avoir jeté qu’une oreille intermittente sur la suite de son œuvre, pourtant particulièrement fournie puisque le bonhomme a publié depuis pas moins de 10 albums, dont The last rider encore l’an dernier. Comme un ami avec lequel on aurait passé de très bons moments mais qu’on aurait perdu de vue, j’espère que je ferai cette année l’effort de renouer les liens. Comme il le chante avec une tendre assurance, « there’s still time ».
Merci de mettre en avant ce songwriter exceptionnel, il le mérite ! « Whereabouts » est aussi mon album préféré du canadien, à égalité avec « Retriever » qui comporte autant de petits chefs d’oeuvre (« For the Driver », « I Know it Well », et j’en passe)
Et « Riverbed » est sans doute ma chanson favorite de toute sa discographie, un joyau effectivement.
Les albums ultérieurs de Sexsmith valent tous le détour, aucun n’est raté, aucun n’est parfait non plus, mais tous comportent invariablement deux ou trois chansons absolument parfaites. Je pense par exemple à « Some Dusty Things » sur l’album « Time Being ».
Merci pour ce commentaire. J’irai écouter la suite, on m’a déjà fortement recommandé « Retriever » et le dernier en date.