Le grand bain
DIIV Oshin (2012, Captured Tracks)
Une nouvelle année qui commence et je n’ai, ma foi, pas encore renoncé à vous entretenir dans ces pages des disques et chansons qui constituent la bande-son de mon quotidien, toujours nourri de cette inextinguible passion pour la musique (notamment pop et rock au sens large) que j’ai l’humble prétention de vous faire partager environ une fois par semaine depuis maintenant plus de 10 ans. Je vous souhaite comme de coutume une excellente année 2018, remplie de bonheurs et de musiques, de découvertes et de valeurs sûres, d’aventures et d’élévations, de déceptions passagères et d’amours éternelles.
Sob and scream earth boy on your throne / You sit alone
Earthboy
2018 débutera ici par une giclée d’embruns jaillie des guitares vaporeuses des New Yorkais de DIIV sur leur premier album studio, cet Oshin paru en 2012. Après avoir usé ses guêtres dans différents groupes de la scène indie-rock US, Zachary Cole Smith décide pour ainsi dire de se mettre à son compte en 2011. Il rassemble autour de lui quelques musiciens et fonde Dive, bientôt rebaptisé en DIIV pour ne pas marcher sur les plate-bandes d’un obscur groupe belge du même nom ayant officié dans les années 1990. Smith est rapidement signé sur le label Captured Tracks et enregistre de façon très conventionnelle une paire de singles avant de faire paraître ce premier LP à l’été 2012.
Never thought you’d go so far but now you’re really / Gone and it’s been so long I never really think about it
Doused
Si Zachary Cole Smith avait initialement baptisé son projet Dive en hommage à une chanson de Nirvana, c’est sur d’autres territoires que ceux du grunge que le garçon évolue, et ce même si Oshin est fondamentalement un disque de pop-rock à guitares. DIIV remet au goût du jour les paysages floutés du shoegaze, usant notamment largement de la reverb pour conférer à ses morceaux une drôle de teinte aquatique. Qu’elles coulent ou qu’elles fouettent le visage, ici partout les notes mouillent et diffusent une aura mêlant fraîcheur et mystère pour au final créer une atmosphère vraiment hypnotique. La musique de DIIV ne saurait cependant se réduire à une simple musique d’ambiance et Zachary Smith déverse un flot de mélodies qui va puiser à la source d’une certaine pop anglaise à guitares carillonnantes. Les arpèges tourbillonnent entre nos deux oreilles et la voix blanche et presque morne de Smith (qui débite ses textes sans qu’on y comprenne grand chose) renforce encore la puissance amniotique de cette musique, qui agit comme un fluide dans lequel se baigne l’auditeur pour en ressortir à la fois troublé et régénéré.
I blame it on you / Cause that side of me I hate / But you were never hurt
Follow
Oshin s’écoule ainsi presque comme un long morceau et une écoute superficielle (et quelques moments faibles aussi, avouons-le) pourrait laisser à penser que les titres s’enchaînent dans une sorte de flux indistinct. Si l’album est diablement cohérent, Smith a l’intelligence de varier subtilement les plaisirs, entre la pop finement ourlée de Follow (coucou Real Estate) ou How long have you known et les raideurs post-rock d’un Doused qu’on dirait presque repris aux regrettées étoiles filantes de The Organ. Wait déploie sur sa fin un faisceau de guitares saturées qui ne manque pas d’évoquer (toutes proportions gardées) le My Bloody Valentine cosmique de Loveless, album auquel on pense d’ailleurs souvent ici pour cette faculté qu’ont les meilleurs morceaux du disque à nous balloter dans une sorte de maelström sonique brouillant les repères. On renverra par exemple au lent tourbillon de Oshin (subsume) qui dresse devant nos yeux comme une tempête de sable. L’air chaud souffle aussi sur un Air conditioning en lévitation porté par un tapis volant de guitares. Mais quand la mélancolie gagne, le froid gèle les notes pour la magnifique rêverie de glace de Earthboy. Certes tout n’est pas parfait ici et Smith prend parfois le risque d’approcher son onirisme vaporeux du bord de l’inconsistance mais le garçon conserve suffisamment de ressources pour retomber sur ses pieds et nous donner envie de replonger dans le bain de ces chansons.
I blame it on you / Cause that side of me I hate / But you were never hurt
Wait
DIIV reviendra en 2016 avec un disque plus abouti, plus charpenté, bizarrement intitulé Is the is are et sur lequel je reviendrai probablement un de ces jours.