Fiona Apple Tidal (1996, Clean Slate / Epic)
Fille d’un acteur et d’une chanteuse, la petite Fiona Apple grandit a priori dans un environnement propice à l’expression artistique. Elle eut surtout à traverser une jeunesse passablement tourmentée. Entre la séparation de ses parents, une psychothérapie suivie encore enfant pour de supposées « tendances antisociales » et l’horrible épreuve d’un viol à l’âge de 12 ans, Fiona Apple aborde l’adolescence avec un bagage passablement plombé. A 16 ans, elle décide de quitter New York pour rejoindre son père à Los Angeles et entreprend de se jeter à corps perdu dans la musique, comme une bouée à laquelle s’accrocher dans son univers chaotique.
Ses chansons arrivent finalement sur les bureaux d’une maison de disques et Tidal paraît en 1996. On reste encore aujourd’hui admiratif devant la maturité et la force qui se dégagent de ce premier album. Sans doute marquée par d’imposantes fêlures, Fiona Apple joue une musique bien plus âgée que ses 19 ans d’alors. Même si ce disque est encore imparfait sous bien des aspects, on ne peut que s’incliner devant l’implication et la personnalité de la jeune Américaine. Et, plutôt que la beauté de ses yeux bleus ornant la pochette de l’album, on retiendra la profondeur d’un regard qui semble receler de douloureux abîmes.
L’ensemble du disque navigue entre pop et soul, le tout mâtiné d’une touche jazzy. Le long de ces 10 chansons, Fiona Apple habille sa mélancolie d’arrangements élégants. Sa voix se révèle surtout particulièrement impressionnante, capable de trouver des inflexions fascinantes pour charrier son lot d’émotions fortes. Je ne me suis par exemple jamais lassé de la façon dont la demoiselle pose la phrase « Your hungry flirt borders intrusion » sur le superbe The first taste. On trouve sur ce disque plusieurs morceaux de haute tenue : de l’étale et chavirant Sullen girl au balancement à la fois fragile et combattif de Shadowboxer, Fiona Apple sait envoûter son auditeur. On pourra juste regretter que le disque se révèle sur la longueur un brin uniforme, une production un peu lisse corsetant parfois le potentiel que la demoiselle laisse entrevoir.
Tidal permettra à Fiona Apple de décrocher un succès à la fois critique et public, le clip assez sexué de Criminal venant même teinter le tout d’un petit parfum sulfureux. Fiona Apple s’écartera assez rapidement des écueils mainstream qui pouvaient la guetter après ce premier essai. Elle fera ainsi paraître en 1999 un deuxième album tout bonnement formidable, au titre improbable de plus de 90 mots et généralement connu sous le titre abrégé de When the pawn… En 2005, Fiona Apple sortira un troisième album, Extraordinary machine, après un long bras de fer avec sa maison de disques, qui renforça encore l’aura artistique de la jeune fille. On est malheureusement sans nouvelles depuis.