La revenante
Sibylle Baier Colour green (2006, Orange Twin)
Retour aujourd’hui sur un disque véritablement sorti de nulle part il y a maintenant près de quatre ans, trésor enfoui réchappé du début des années 1970 et exposé en pleine lumière plus de trente ans après. Ces chansons furent à l’origine enregistrées entre 1970 et 1973 par cette jeune Allemande qui naviguait dans les milieux artistiques de la RFA d’alors, ce qui lui valut notamment une apparition dans un des premiers films de Wim Wenders, Alice dans les villes. Et puis, Sibylle Baier décida de ne plus y être pour personne, à l’exception de sa famille, désertant la carrière artistique qui lui semblait promise pour s’occuper de ses enfants, un peu à la manière d’une Vashti Bunyan s’embarquant dans sa roulotte avec ses chansons environ à la même époque en Angleterre. En 2004, le fils de Sibylle Baier, habitant désormais dans le Massachussets, offrit à sa mère un CD gravé avec ses compositions de jeunesse. Le disque circula alors jusqu’aux mains de Jay Mascis, le leader de Dinosaur Jr, pour finalement être transmis à un label qui le publia en 2006.
Il y a quelque chose de fantomatique dans la musique de Sibylle Baier, comme une trace fragile qui s’approcherait sans cesse de son propre effacement. Le long de ces quatorze morceaux monochromes, Sibylle Baier semble chanter de la même voix belle et profonde la douleur et la joie d’être en vie, les larmes qui montent aux yeux sans trop savoir pourquoi, les intermittences de nos cœurs, la mélancolie chevillée au corps et les rêves bouchés comme le ciel d’automne par la peur du temps qui passe. Pas de gaité dans les chansons de Sibylle Baier, mais une gravité bouleversante qui ne refuse pourtant jamais de s’ouvrir à la lumière, le temps d’une éclaircie, d’un trajet en voiture (Driving), autant de parenthèses ensoleillées dans un univers sépia comme la pochette de l’album. Quelque part entre Leonard Cohen, Nico et Vashti Bunyan, Sibylle Baier joue sans affèteries un folk sans âge, explorant les perspectives infinies de la combinaison guitare/voix avec une simplicité désarmante.
Difficile de mettre en exergue un morceau parmi cet ensemble comme taillé tout d’un bloc dans la même étoffe sombre. On mentionnera la noirceur languide de The end ou les splendeurs létales de Tonight ou du bouleversant I lost something in the hills (« When I pass through the leg high grass / I shall die / Under the jasmin I shall die / Under the elder tree / And I need not prepare for a new coming day »). Malgré une tristesse enveloppante, la musique de Sibylle Baier n’est cependant jamais morbide, se « contentant » d’exprimer simplement des sentiments complexes, des humeurs de ciel gris. Sur des chansons comme Wim ou William, on croit même reconnaître des senteurs de printemps. L’album se clôt sur le merveilleux Give me a smile drapé de cordes majestueuses, ponctuation magnifique de la grosse demie-heure traversée dans une brume envoûtante, parfois lancinante il faut l’admettre (le disque ne se pliera pas à toutes les humeurs du jour).
Aux dernières nouvelles, Sibylle Baier n’a pas changé de vie. Elle aurait continué de composer des chansons pendant toutes ces années, comme un prolongement de sa vie de tous les jours et n’aurait rien contre l’idée de faire un autre disque.