Blonde, punk et bubblegum
Après avoir passé en revue la semaine dernière les dix meilleurs albums – à mes oreilles et pour ceux que je connais, évidemment – parus en 1976, je reviendrai ce soir sur l’un des membres de cette fort subjective sélection, à savoir le premier opus des New-yorkais de Blondie. Comme beaucoup (sans doute), j’ai longtemps cru, avant que ma culture musicale ne s’étoffe, que Blondie se résumait à Debbie Harry et au tube discoïde Heart of glass. C’est pourquoi j’eus un temps peine à saisir pour quelle raison les magazines et critiques musicaux que je lisais avidement s’évertuaient à rapprocher le groupe du punk new-yorkais, de Television, de Patti Smith ou des Talking Heads. Mes lumières se sont fort heureusement éclairées depuis.
Walking the line, you were a marksman / Told me that law, like wine, is ageless / Public defender / You had to admit / You wanted the love of a sex offender
X Offender
Quand Blondie se forme en 1974, autour du couple Chris Stein – Deborah Harry, tous deux ne sont déjà plus des perdreaux de l’année, accumulant chacun derrière eux plusieurs années de vaches maigres et d’expériences musicales et professionnelles diverses. Stein et Harry se rencontrent au sein d’un groupe nommé les Stilettos avant de rapidement décider de voler de leurs propres ailes. Il faudra plusieurs mois pour que la configuration du groupe se cristallise, avec le bassiste Gary Valentine, le batteur Clem Burke et le claviériste James Destri. Blondie est parmi les premiers à animer les soirées aujourd’hui mythiques du CBGB’s et parvient à décrocher un contrat discographique en 1976, un an après Patti Smith, la même année que les Ramones.
She looks like the Sunday comics / She thinks she’s Brenda Starr / Her nose job is real atomic / All she needs is an old knife scar
Rip her to shreds
Il est difficile d’imaginer, quarante ans après et sans l’avoir soi-même senti sur sa joue, le vent de fraîcheur que cette génération a fait souffler sur la pop et le rock de l’époque, mais il n’est pas interdit d’essayer. Il suffit d’écouter ces musiques et de constater à quel point chacune – et chacune avec ses spécificités – demeure encore d’une évidente acuité, d’une irrécusable pertinence. Avec ce premier album éponyme, Blondie remet à l’honneur les mélodies immédiates des girl-groups des 60’s, les frictionne avec une bonne dose de papier de verre rock garage, et délivre une musique célébrant les noces de la pop et du punk, mêlant énergie, malice et sex-appeal dans le même mouvement. Blondie affiche une spontanéité d’une efficacité diabolique sur laquelle il greffe une sorte d’espièglerie faussement innocente du plus bel effet. Du haut de ses 32 ans, Debbie Harry prend un évident plaisir à corser la joliesse mélodique de la pop girlie, tantôt par quelques lignes ouvertement explicites, tantôt par un chant jouant l’ingénuité avec un clin d’œil amusé. Ce mélange d’ironie et de naïveté, ce goût même pour le pastiche, se retrouvent également dans les références aux films de série B qu’on retrouve sur des morceaux comme Kung fu girls ou The attack of the giant ants.
If I lose my head, we’ll be certainly dead / With visions of acid, how I wish they bled / The drummings of fear cause they’re getting so near / And I think of a lion who was devoured down there
Rifle range
Blondie s’ouvre sur une introduction parlée volontairement parodique qui semble sortir droit d’un hit 60’s à la guimauve avant de démarrer en surf-rock trépidant porté notamment par le clavier pétulant de James Destri, un des indéniables points forts du groupe. La chanson – intitulée X offender mais qui devait initialement s’appeler Sex offender – raconte avec aplomb la drague éhontée par une prostituée du policier venu pour la coffrer ; une dose de sex-appeal, un goût pour le pastiche et les références au rock des origines, une pincée de provocation poivrée, ce X offender constitue une parfaite introduction à l’univers de Blondie. Au fil de l’album, le groupe n’hésite pas à piocher avec un égal bonheur dans différents genres musicaux, ce qui constituera aussi une constante de sa future discographie. Blondie brille ainsi autant sur une ballade délicieusement sucrée comme In the flesh que sur l’épatant Man overboard et ses airs de mambo de série noire, une des plus belles réussites du disque. Look good in blue est un petit bonheur de pop futée, alignant sans vergogne une ligne aussi clairement sexuelle que « I could give you some head and shoulders to lie on ». Sur Kung fu girls et surtout le brûlant Rip her to shreds, Blondie justifie son étiquette punk avec brio et énergie, énergie qui irradie l’excellent Rifle range, morceau classieux et superbe. Le disque se termine par le surprenant et amusant The attack of the giant ants, de la pop à gimmick qui ferait un excellent générique pour film de série Z.
Giant ants from space, waste the human race / Then they eat your face, never leave a trace / La la la la la, la la la la la, la la la la la (The attack of the giant ants)
The attack of the giant ants
Avec ce premier album roboratif, Blondie annonçait avec d’autres la nouvelle vague qui se levait sur la scène musicale internationale, inventant une sorte de punk bubblegum moins vindicatif que celui qui jaillira d’Angleterre quelques mois plus tard, mais plus sexy, plus joyeux. Blondie deviendra par la suite un groupe énorme avec le succès de Denis puis de Heart of glass mais ça, c’est une autre histoire…
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[…] engagé sur la voie d’un succès planétaire. Récupéré par le label Chrysalis dès après son premier LP, il bénéficie des efforts de promotion que fournit sa nouvelle écurie pour son deuxième opus, […]