Blonde Redhead La mia vita violenta (1995, Smells Like Records)
Après avoir étudié le jazz à Boston, les frères Amedeo et Simone Pace – Italiens grandis au Canada – commencent à fréquenter la scène underground new-yorkaise au début des années 1990. Ils rencontrent par hasard deux étudiantes japonaises en art, Kazu Makino et Maki Takahashi et l’alchimie se fait si bien que les quatre forment bientôt Blonde Redhead. Le groupe est rapidement repéré par Steve Shelley, batteur de Sonic Youth, qui le prend sous son aile et le signe sur son label pour un premier LP, Blonde Redhead, qui paraît tout début 1995. Takahashi quitte le groupe après ce premier opus et Blonde Redhead, désormais stabilisé sous forme de trio, publie son deuxième album, La mia vita violenta, à l’automne 1995.
My friends told me stories of you / Driving wizards up and down / I never seen the same again
U.F.O.
La première fois qu’on a écouté un morceau de Blonde Redhead – à l’époque de cet album – , on pensa immédiatement et évidemment à Sonic Youth, et ce sans même savoir Steve Shelley dans les parages. Ces guitares acérées toutes de tension électrifiée, ces accords hypnotiques, ce rock à la fois arty et sauvage, on s’en repaissait à l’époque avidement sur EVOL ou Sister. Mais loin de se révéler vulgaire copiste, Blonde Redhead démontrait que les territoires défrichés par son illustre prédécesseur laissaient toute latitude pour cultiver son originalité. Et si La mia vita violenta sonne encore comme une excroissance de la discographie gargantuesque de l’autre quatuor new-yorkais, il porte en lui suffisamment de personnalité et de beautés pour qu’on prenne le temps de s’y arrêter.
If I could go away / I would go there / It’s far, it’s out / It’s life / It’s no surprise
10 feet high
Comme son aîné et (quand même) évidente inspiration, Blonde Redhead use avec brio des guitares saturées, des larsens tranchants, des changements de structure et pousse la ressemblance jusqu’à lui aussi faire alterner au chant une voix d’homme et une voix de femme. On retrouvera ces influences « sonic-youthiennes » sur des titres comme (I am taking out my eurotrash) I still get rocks off ou Violent life, qui n’en demeurent pas moins de formidables morceaux sexy et vibrants. Mais Blonde Redhead aligne d’autres atouts qui en font bien autre chose qu’un ersatz de Sonic Youth. Le trio charrie ainsi avec lui un art de la mélodie caressante qui recouvre les meilleures chansons de l’album d’un halo de mélancolie inquiète du plus bel effet. C’est cette intranquillité qui agite la magnifique dérive urbaine et noctambule « U.F.O. » ou qui saisit à l’écoute des remarquables Bean et Down Under. Sur Harmony, Blonde Redhead ouvre les portes d’un temple indien enfumé, dans lequel un sitar apaisant engourdit l’auditeur pour mieux le charmer. Le groupe révèle plutôt néanmoins un caractère de faux calme, tant l’énergie punk qui coule en lui ne demande qu’à surgir en geysers noisy, sur le final tumultueux de Young Neil ou ce 10 feet high qu’on a pour le coup bien du mal à ne pas ramener encore une fois à Sonic Youth. On ne manquera toutefois pas de souligner à quel point le chant de Kazu Makino, rêche et doux à la fois comme une pièce de velours, fait partie des ingrédients qui rehaussent le charme de la musique du trio.
With a thousand kisses / Every moment is all mine / Come back this time
Violent life
Avec ce deuxième opus, Blonde Redhead explorait la face la plus pop et mélodique de la musique de Sonic Youth, en y adjoignant des éléments dévoilant une réelle singularité, un peu comme la marque du faussaire qui confèrerait à l’œuvre son surcroît de valeur le distinguant de l’original. Blonde Redhead fera d’ailleurs montre d’un certain aplomb plein d’humour en appelant son disque suivant Fake can be just as good. Le groupe a depuis laissé derrière lui cette influence qui aurait pu menacer de plomber ses propres mérites et s’est affirmé comme un combo tout bonnement passionnant, emmenant sa musique vers des paysages pop touchant parfois au sublime au fil d’une discographie désormais riche de 9 albums, le dernier en date, Barragan, étant paru en 2014. Il sera temps d’y revenir une prochaine fois.