Les ombres chaudes du crépuscule
Gene Clark White light (1971, A&M Records)
En même temps qu’ils révolutionnèrent proprement la face du rock, les Byrds traversèrent les sixties en aéronef déglingué semant dans son sillage des pièces détachées comme autant d’étoiles filantes aspirées à leur tour par les vertiges ascensionnels. Je mentionnai il y a peu David Crosby mais, avant lui, Gene Clark fut éjecté hors du groupe, victime sans doute de la force centrifuge produite par ses incessantes voltiges. Il en était pourtant l’un des fondateurs, avec Roger McGuinn et lui offrit quelques uns de ses hauts faits sur la période 1964-1966 (Eight miles high notamment) avant que leurs chemins ne divergent, sous l’effet conjugué de sa phobie de l’avion et d’un isolement croissant, né pour partie des jalousies suscitées par le montant des royalties qui lui revenait. Clark n’allait pas rester longtemps inactif et dès 1967, il fit paraître un premier album plus que recommandable, Gene Clark with the Gosdin Brothers, dans une veine country-rock qu’il creusa encore davantage en s’associant avec Doug Dillard dans le duo Dillard & Clark pour deux albums parus entre 1968 et 1970. A nouveau seul, Gene Clark publia alors en 1971 ce formidable White light.
Oh the village on the hill / Sitting silently at will / Like a prophecy forgotten by an age / With no guns before its gate / The mysterious estate / Lies waiting for its history’s dawning page / With the raging of the sea before its height
White light
Je n’ai découvert ce disque qu’il y a peu, cet album demeurant – parmi la discographie encore trop méconnu du bonhomme – dans l’ombre de son gargantuesque et fantastique successeur, No other (1974). Ce White light brille pourtant de bien des beautés qui font de lui un vrai rival à son imposant suivant, dans un registre fort différent. Accompagné d’un groupe tout de sobriété lumineuse (comprenant notamment un membre des Flying Burrito Brothers et un autre du Steve Miller Band), Gene Clark continue de travailler dans son coin le folk et la country, auxquelles il confère une patine assez unique, mélange de mystère et d’immédiateté sans détour, évoquant Dylan comme Tim Hardin. Si elles dégagent un évident charisme, les chansons de White light dessinent la silhouette d’un homme implacablement seul, et qui paraît souvent comme absent à lui-même, un peu comme quelqu’un dont la présence serait contrebalancée par d’incessants regards vers l’extérieur de la pièce. La sublime pochette de l’album finit par traduire à merveille ce qu’on ressent en entendant ces morceaux, l’impression de saisir les ombres d’un homme éclairé par le soleil couchant. Le disque s’avère pourtant loin d’être plombant et Gene Clark apparaît tour à tour – voire en même temps – effrayé et émerveillé par le spectacle du monde.
She went off to the city to find what she was looking for / To identify, and to really try to find herself some more / With the summer sun for laughing / The winter rains did pour / She was lovelier from learning and from living loving more
The virgin
On aurait peine à relever les temps faibles de ce disque qui se distingue aussi par sa cohérence et sa constance à fréquenter les sommets. L’album s’ouvre sur un inoubliable The virgin, ballade country-folk qui tournoie élégamment et qui pose d’emblée le décor musical général : guitare acoustique, harmonica, basse et ce chant caressant de sage un peu perdu. Je m’attarderai simplement à mentionner mes morceaux favoris : l’intimiste With tomorrow, la country impeccable de White light et l’aérien One in a hundred et ses notes classieuses de steel guitar. Clark se paie le luxe d’aller titiller le maître Dylan en reprenant un de ses morceaux, Tears of rage, digne des meilleurs moments du Band et c’est d’ailleurs Dylan qui lui rendra en retour un hommage prestigieux en adoubant le tremblé For a Spanish guitar parmi ses chansons préférées. L’album se termine sur un 1975 à faire baver d’envie Crosby, Stills & Nash réunis, et qui réunit toutes les qualités paradoxales de cette musique : chaud et solitaire, paisible en surface et visiblement tourmenté en profondeur. La réédition de l’album parue en 2001 donne à entendre également d’excellents bonus, entre une reprise à la coule de Stand by me et quelques inédits de haute volée comme Winter in.
It was more like a dream than reality / I must have thought it was a dream while she was here with me / When she was near I didn’t think she would leave / When she was gone it was too much to believe
With tomorrow
Malgré ses beautés, White light fut un échec commercial patent, à part aux Pays-Bas où le disque fut bizarrement largement acclamé. Trois ans après surviendront les débordements magistraux de No other. Mais c’est une autre histoire…