Le voyageur
Peter von Poehl Going to where the tea-trees are (2006, Tôt Ou Tard)
J’ai déjà eu l’occasion d’écrire ici sur ce talentueux et francophile Suédois à l’occasion de son remarquable May day paru en 2009 ; il se trouve que mes flâneries musicales m’ont conduit à recroiser la route de son fort recommandable premier opus. L’occasion était donc belle de consacrer un petit billet à cet album qui rencontra par chez nous un fort honorable succès public (et critique).
So I will go to where the tea-trees turn to wine / I’ll be just fine / It takes a believer sometimes
Going to where the tea-trees are
Peter von Poehl débarque en France en provenance de sa Suède natale en 1998. Il est repéré par Bertrand Burgalat qui l’embauche comme guitariste pour le backing-band de son label Tricatel, avec lequel il accompagne alors Michel Houellebecq, Alain Chamfort ou Burgalat lui-même. Lorsque le backing-band devient groupe à part entière sous le nom d’AS Dragon, Peter von Poehl choisit de reprendre sa liberté pour se consacrer à ses aventures en solo. Après avoir continué d’accompagner plusieurs artistes français (Lio, par exemple), il enregistre un single à compte d’auteur, Going to where the tea-trees are, qui commence à tourner en boucle sur les ondes de Radio Nova et qui fédère progressivement autour de lui un nombre croissant d’amateurs. Les commandes du single affluent sur le site Web du bonhomme ce qui lui vaut de pouvoir entrer en studio pour enregistrer – à 33 ans bien sonnés – un premier album, également intitulé Going to where the tea-trees are.
Despite all logic black magic and evil tricks / Maybe the reason is that inside of me / I’ve been carrying a broken skeleton key
A broken skeleton key
On a souvent pu rattacher Peter von Poehl à cette mouvance folk scandinave apparue au cours des années 2000, étiquette sous laquelle on rassemblait pèle-même des artistes aussi intéressants et différentes que les Kings of Convenience, José Gonzalez ou Thomas Dybdahl. J’avoue avoir moi-même fait d’abord un peu hâtivement le rapprochement, négligeant finalement de voir que seule une profonde singularité pouvait réellement apparenter les songwriters sus-nommés. Comme Gonzalez, von Poehl est d’abord un électron libre, un voyageur musical – un des morceaux de l’album s’intitule d’ailleurs Travelers – partageant alors son temps entre Berlin et Paris et multipliant expériences et collaborations pour enrichir sa palette personnelle. La musique de Peter von Poehl évolue dans un registre folk-pop teinté de réminiscences soul et jazzy ; elle se caractérise surtout par un réjouissant mélange de finesse et de subtilité. Notre homme expose ici un art délicat et méticuleux, se posant en précieux miniaturiste capable de réaliser de complexes constructions à taille humaine, s’appuyant pour ce faire essentiellement sur une guitare acoustique et un ensemble de cuivres et de vents ouvrant régulièrement grand les fenêtres de ces chansons.
We have the story of the impossible / A tale passed on so frail / One of make-belief / Maybe impossible to achieve / And really close
The story of the impossible
La brise souffle ainsi dès l’introductif et boisé Going to where the tea-trees are, somptueuse ballade ourlée de bleu par la grâce d’un saxophone classieux. Virgin mountains convoque de son côté la pop haut de gamme de Cardinal, avec son carrousel de flûtes, de cuivres et de voix en écho. Impossible aussi de passer sous silence la beauté pure de l’improbable tube The story of the impossible, perle cristalline qui réussit le tour de force de faire entendre sur les ondes nationales des arrangements de flûte et une finesse qui y trouve trop rarement sa place. Le garçon ne s’avère également pas maladroit du tout quand le tempo s’accélère (un peu), comme sur cet enjoué A broken skeleton key ou sur un Global conspiracy coloré de soul et qui semble annoncer certaines des inflexions prises sur May day. Scorpion grass montre le Suédois sous un jour plus inquiétant et le bonhomme a le talent de garder le meilleur pour la fin, avec la gravité aérienne de The bell tolls five, dont l’envol de cuivres final gonflera autant le cœur que les paupières. Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm auront plus tard la belle inspiration d’utiliser ce morceau pour conclure leur extraordinaire La guerre est déclarée.
We are travellers, we go far / The only place we’ve never been to / Is where we are
Travelers
Pour être tout à fait honnête, l’album pâtit quand même de quelques temps faibles, avec des titres plus dispensables comme Little creatures ou The lottery qui n’apportent pas grand chose à mon humble avis. Le bonhomme élargira je trouve sa palette et se montrera encore plus constant et inspiré avec son deuxième opus, ce May day dont j’ai déjà parlé dans ces pages. Peter von Poehl a fait paraître un troisième album en 2013, Big issues printed small, mais j’avoue être passé complètement à côté.
2 réponses
[…] Peter von Poehl The bell tolls five [2006, Going to where the tea-trees are] […]
[…] ans après le succès inattendu de son premier effort solo, ce Going to where the tea-trees are (2006) porté par l’épatant single The story of the impossible, ce grand Suédois […]