Spleen de saison
Sophia People are like seasons (2004, City Slang)
Déjà plus de quatre ans que j’écrivais dans ces pages quelques lignes sur le premier album sublime et douloureux de Sophia, sur cette musique suintant la peine infinie de Robin Proper-Sheppard comme un encrier renversé répandrait son encre noire sur du papier blanc. Je terminais alors mon billet sur ma méconnaissance de la discographie ultérieure du groupe et me promettais d’y revenir : il m’en aura fallu du temps mais c’est aujourd’hui chose faite.
Everything’s lovely / Yeah everything’s fine / I’ve got more than I need most of the time / But still something seems missing / Like there’s a crack inside / If we could just get away / And leave what divides us behind
Holidays are nice
Pour être honnête, mon déroulé n’est pas linéaire car People are like seasons n’est pas la suite directe de Fixed water. Entre les deux, Sophia a eu le temps d’intercaler un deuxième opus, The infinite circle en 1998 puis un disque enregistré en public, De nachten en 2001. Cela ne change rien au plaisir de retrouver le groupe de Proper-Sheppard et ses chansons souvent bouleversantes sur ce People are like seasons qui, s’il n’affiche pas la permanence dans l’excellence de Fixed water, parvient en quelques occasions à planer à des hauteurs proprement vertigineuses. On avait laissé notre homme terrassé par le deuil et la rupture sur Fixed water et vraisemblablement, huit ans plus tard, le leader de Sophia vit toujours sous un “ciel bas et lourd” pesant “comme un couvercle”. Mais c’est bien pour cela qu’on aime cette musique, pour sa neurasthénie lumineuse et ses clairs-obscurs déchirants…
Well we push and we pull / But still at least we never feel empty / And can’t we just pretend / That I’m an island in your sea / Let’s give in before we swept
Swept back
Proper-Sheppard introduit néanmoins de nouveaux tons dans sa palette et si le sépia domine toujours, il se teinte en plusieurs occasions de nuances plus fauves (cf. les couleurs automnales illustrant la pochette). La réussite est au rendez-vous sur l’introductif et nerveux Oh my love, à la dynamique inhabituelle chez Sophia mais qui exprimer à merveille toute la tension qui couve sous cette musique. Le morceau permettra par ailleurs au groupe d’atteindre une audience plus large dans plusieurs pays d’Europe, notamment en Belgique et en Allemagne. On avouera qu’on aime moins quand Robin Proper-Sheppard renoue avec ses anciennes amours bruitistes (celles du temps de son ancien groupe, The God Machine) sur les plus rock mais sans grand relief Darkness (another shade in your black) et If a change is gonna come. En revanche, la poussée de fièvre finale du tumultueux Desert song n°2 s’avère beaucoup plus impressionnante, venant couronner en beauté cette imposante ballade pleine de tourments. Et c’est bien dans ce registre qu’on préfère la musique de Sophia, quand le tempo ralentit mais demeure lourd de menaces ou quand s’expose d’immenses fêlures d’où jaillissent d’immenses chansons. Ce sera ainsi et d’abord ce monumental I left you, acmé évident de l’album et gigantesque morceau brûleur de vaisseaux, implacable constat tout sauf à l’amiable d’un naufrage amoureux. Comme sur tous les meilleurs morceaux du groupe, I left you prend le temps de se déployer, impose sa cadence et s’élève pour ne plus jamais redescendre, soulevant cent pieds au-dessus du sol tout le poids qu’elle porte. D’autres morceaux parviennent à briller à l’ombre de cette chanson d’anthologie, comme ce Swept back si flapi qu’il en paraît presque serein ou ce Holidays are nice dont l’acoustique printanière peine à masquer les piquantes échardes. Le disque se clôt sur le dépouillement humide de Another trauma, une porte se ferme, le jour se lèvera bientôt…
Il me reste encore quelques épisodes de la discographie de Sophia à découvrir, d’autres étapes sur son parcours de la peine (pour reprendre le titre d’un classique de Murat) dont je vous parlerais peut-être un jour prochain si ces disques me chantent. Fixed water et People are like seasons demeurent de beaux trésors cachés, qui ne perdraient rien à obtenir davantage de reconnaissance. Ceux qui aiment la consolation des chansons tristes y trouveront une compagnie à leur goût.
2 réponses
[…] Sophia Oh my love ! [2004, sur l’album People are like seasons] […]
[…] initial, le groupe de Robin Proper-Shepard a ainsi fait paraître The infinite circle en 1998, People are like seasons (2004), Technology won’t save us (2006) et There are no goodbyes en 2009. J’ai donc du […]