Le beau bizarre
Pinback This is a Pinback CD (1999, Cutty Shark)
Voici déjà plus de trois ans, j’écrivais que Pinback était peut-être le groupe de rock indé le plus important apparu au tournant de ce siècle. Le plus important, je ne sais pas, mais chaque écoute de ce disque merveilleux me confirme une beauté sans exemple.
Armistead Burwell Smith IV (dit Zach Smith) et Rob Crow fondent Pinback en 1998, comme un projet secondaire, à temps partiel, qu’ils mènent quand leurs groupes respectifs leur en laissent le temps. Quand le groupe de Smith – Three Mile Pilot – décide d’entamer une pause à durée indéterminée, Smith demande à Crow d’enregistrer avec lui quelques titres dans son appartement. Au final, les deux larrons couchent sur bande une dizaine de chansons qui paraissent fin 1999 sous ce titre imparable: This is a Pinback CD.
Le résultat est proprement fascinant. Pinback joue une musique absolument unique, charriant ici ou là diverses influences (de Swell aux Beach Boys en passant par les Talking Heads) mais traçant une voie absolument singulière, celle d’une pop vaporeuse mais jamais inconsistante, d’une complexité infinie dans ses structures mais d’un abord immédiat dans ses mélodies. L’essentiel des morceaux se construit autour d’une basse profonde et d’une rythmique minimaliste (une simple boîte à rythmes sur la majorité des titres) et autour de cet axe s’enchevêtrent savamment arpèges de guitares, mélodies à tiroir et chant choral à deux voix de Smith et Crow. Au final, on obtient un mille-feuilles jamais indigeste, fascinant d’inventivité, créant autour de lui un halo de mystère impénétrable et troublant. Le groupe cultive d’ailleurs intelligemment cette facette énigmatique avec des titres improbables (et très francophiles) tels que Montaigne, Rousseau ou Lyon, et des textes plutôt obscurs. A l’image des deux personnages représentés sur la pochette du disque, à la fois proches et distants, la musique de Pinback séduit mais à travers un voile de fumée, toujours un peu ailleurs, insaisissable, semblant s’éloigner à mesure que l’on s’en approche.
Difficile de trouver un moment faible le long de ces douze morceaux qui revêtent fréquemment à mes yeux d’étranges teintes lacustres. Plusieurs morceaux semblent ainsi progresser tels des ridules à la surface de l’eau et la brume inquiétante qui recouvre Chaos engine pourrait provenir des abords d’un lac mystérieux. Avec Versailles et Montaigne, le groupe signe deux des plus magnifiques dérives sous les étoiles qu’il m’ait été donné d’entendre et la sereine mélancolie qui s’en dégage ne saurait dissimuler la profondeur de champ de l’ensemble. L’introductif Tripoli exsude d’emblée cette mélancolie à la fois perverse et innocente, et la conscience de la finitude des choses: “Sad I’m gonna die / Hope it’s gonna happen later than I think”. Impossible également de passer sous silence le sublime “Lyon” ou la beauté stellaire du bouleversant Loro. Avec Crutch, Pinback se paie même le luxe d’une sorte de classique instantané, avec ses guitares élastiques, sa basse mordante et son refrain en rupture quasiment primesautier.
Tant de beautés étaient sans doute de trop pour accrocher l’oreille des foules et Pinback ne récolta qu’une vague estime critique. Leur nom commencera cependant de circuler comme un talisman échangé entre initiés, certains de partager ensemble un trésor. Un deuxième album, du même calibre ou pas loin, est paru en 2001 et sur lequel je reviendrai bientôt ici. Le groupe a depuis fait paraître deux autres disques, Summer in Abaddon en 2004 et Autumn of the seraphs en 2007, sans retrouver tout à fait l’état de grâce de ce premier essai.
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[…] et je remontai bien vite aux sources de la discographie du duo américain, soit ce merveilleux This is a Pinback CD que j’ai célébré ici même récemment. Avec les années, s’il me semble clair que le […]
[…] le passé eu l’occasion de vanter les immenses mérites des deux premiers albums du groupe, This is a Pinback CD (1999) et Blue screen life (2001), le premier nommé parvenant notamment à chaque écoute à […]
[…] et je remontai bien vite aux sources de la discographie du duo américain, soit ce merveilleux This is a Pinback CD que j’ai célébré ici même récemment. Avec les années, s’il me semble clair que le […]