L’homme aux semelles de vent
Piers Faccini Leave no trace (2004, Bleu Electric)
Né en Angleterre de parents anglo-italiens au début des années 1970, Piers Faccini s’installe en France avec sa famille dès la petite enfance. Devenu adulte et musicien, c’est à Londres qu’il se fait une première fois remarquer en tant que membre du groupe Charley Marlowe – dont j’ignore par ailleurs absolument tout. Peu en phase avec les orientations musicales de ses compagnons et les contraintes de la vie de groupe, Faccini s’émancipe et publie ce premier album sous son nom en 2004 sur le label français Bleu Electric. Les ambiances feutrées de ce disque splendide accompagneront parfaitement l’inauguration de ce nouvel intérieur.
Accompagné de quelques fines lames (Vincent Segal à la production, Sébastien Martel ou Rokia Traoré), notre cosmopolite ami affiche dès ce premier effort solo une personnalité imposante. Entre blues rural, folk pastoral et sonorités africaines, Faccini saisit par l’ampleur de son geste musical. Se dégagent de l’ensemble quelque chose comme une douceur intense ou une profondeur lumineuse, comme si notre homme allait chercher la lumière dans les profondeurs de l’âme humaine. Tout l’album semble joué sur coussin d’air, mais un coussin tendu de velours, doux ou rêche selon la façon dont on le caresse. Faccini agence à merveille ses notes et le silence, laissant celui-ci trôner au cœur de sa musique, lui conférant un modelé et une texture d’une précieuse délicatesse. Sa voix chaude et feutrée ajoutent encore au charme de l’ensemble.
Piers Faccini entre en apesanteur dès l’introductif Where angels fly, tout en intensité rentrée. Au fil des onze titres de l’album, Faccini atteint à plusieurs reprises de somptueuses altitudes, du swing éolien d’All the love in all the world à la mélancolie poignante de Dream after dream ou du formidable Ugly places. On pense plusieurs fois à l’incomparable magie de l’immense Nick Drake – toutes proportions gardées. Notre homme n’oublie pas pour autant ce qu’il doit à la rugosité du blues avec le superbe Come my demons, qui confirme la parenté entrevue avec les premiers travaux de Ben Harper. Quand retentit le vespéral et conclusif Can’t wait another day, qui rivalise avec le meilleur Spain, l’auditeur ressent comme un frisson, un souffle d’air l’ayant effleuré quarante minutes durant et il se retrouve avec le sentiment intangible d’avoir traversé un moment de grâce.
Piers Faccini continue depuis son parcours aérien, à nul autre pareil. En 2006, il fait paraître Tearing sky, accompagné notamment de Ben Harper (tiens, tiens…) sur quelques chœurs. Suivra en 2009 le génial Two grains of sand, confirmant les qualités hors normes de ce musicien aux semelles de vent, dont la présence diaphane impressionne à chaque apparition.