Femme libérée
Fiona Apple When the pawn… (1999, Sony)
Le premier album de Fiona Apple, Tidal (1996), avait impressionné à sa sortie par sa maturité, tant dans ses textes que dans ses compositions. Cette jeune fille de 19 ans affichait alors de belles promesses mais certains aspects de son disque pouvaient aussi laisser redouter une dérive vers un soft-rock fade et soporifique. C’est pourquoi je fus plus que surpris par la dimension de ce deuxième opus, spectaculaire déclaration d’indépendance jetée avec prestance à la face du monde.
Fiona Apple réalise ici un bond gigantesque par rapport à son premier LP et se révèle réellement en songwriter (-euse?) de premier plan. Totalement émancipée, la jeune fille en souffrance de Tidal semble habitée d’une confiance nouvelle lui permettant toutes les audaces – comme de donner à son disque un titre de 90 mots, raccourcis sous le vocable When the pawn… pour plus de facilité – et cède la place à une femme désirante et forte tête, habillant des textes souvent mordants d’arrangements de haute volée. A la fois classique et moderne, Fiona Apple va puiser son inspiration aussi bien dans le jazz que dans les musicals de Broadway, traçant une ligne de fuite qui irait de PJ Harvey à Nina Simone en passant par Burt Bacharach et Lisa Germano. L’ensemble est rehaussé par la production impeccable de Jon Brion, déjà vu à l’œuvre derrière un autre songwriter de haute tenue, Rufus Wainwright.
Dès l’introductif On the bound, Fiona Apple laisse exploser son désir en se fendant d’un vibrant et rauque “You’re all I need” tout au long du refrain, sur un morceau marqué par une rythmique syncopée et rentre-dedans. La chanteuse laisse derrière elle les instants les plus fades de Tidal pour jouer des morceaux épicés et aiguisés, dans lesquels elle place des textes à la fois féroces et fragiles, impudiques et pleins de morgue. Fiona Apple dépeint sans fard les difficultés des relations amoureuses, quand on doit faire face à ses propres failles et aux insuffisances de l’autre. Sur le nerveux To your love, Miss Apple glisse ainsi cette confession dérangeante : “Please forgive me for my distance / The pain is evident in my existence” .
L’album se révèle ainsi un formidable champ de bataille, entre assauts toutes griffes dehors et tentations de retraite. Sur le fantastique Limp, Fiona Apple se fait amazone, cœur et poings serrés dans un même mouvement. Love ridden apporte une once de respiration et débouche sur le magnifique Paper bag, sur lequel Apple chante comme jamais tandis qu’un chœur céleste de cuivres vient se poser comme le soleil se couche sur l’eau. A mistake montre que la demoiselle est aussi capable d’auto-dérision avant qu’elle nous embarque dans l’ébouriffante cavalcade de Fast as you can, dont on sort haletant et le souffle court. La ballade terminale I know sonne enfin comme une réminiscence améliorée, plus affirmée, du très beau Sullen girl qui figurait sur le premier album.
Après ce disque remarquable, Fiona Apple devra attendre près de 6 ans, bien malgré elle, avant de pouvoir sortir son troisième opus, Extraordinary machine (2005).
2 réponses
[…] trouve que deux fêteront aussi leur anniversaire cette année : (4) 20 ans déjà pour le génial When the pawn… de Fiona Apple – dont est extrait ce brûlant On the bound – et (5) 30 ans pour […]
[…] au titre improbable de plus de 90 mots et généralement connu sous le titre abrégé de When the pawn… En 2005, Fiona Apple sortira un troisième album, Extraordinary machine, après un long bras de fer […]