Allumer le feu
James Stutter (1986, Blanco y Negro/Sire)
Curieux parcours que celui de James. Ce groupe anglais (car il s’agit bien d’un groupe), originaire de Manchester, fût d’abord présenté comme les nouveaux Smiths, surtout après avoir reçu les louanges de Morrissey en personne. Longtemps raidi dans une intransigeance indie-rock des plus austères, à la limite de l’intégrisme, James toucha le jackpot à la fin des années 1980 en Angleterre en surfant sur la vague Madchester avec le morceau Sit down. Puis le groupe sombra peu à peu dans l’oubli pour finalement se séparer dans l’indifférence en 2001. Cette séparation fut de courte durée et James refit surface en 2007 avec une compilation de singles puis un dixième album solo paru en 2008 et dénommé Hey ma.
James naît en 1982 de la rencontre à Manchester entre Tim Booth, le bassiste Jim Glennie, le guitariste Paul Robertson (très vite remplacé par Larry Gott) et le batteur Gavan Whelan. Dès 1983, le groupe sort un premier EP sur le mythique label Factory et sa réputation croît rapidement. Morrissey leur propose de faire la première partie des Smiths lors de leur tournée américaine avant même que le groupe ait sorti son premier album mais le groupe, obnubilé par son indépendance, refuse. Finalement, en 1986, James sort son premier album : Stutter.
Stutter compte à mon sens parmi les tous meilleurs disques d’une décennie qui n’en fut pas avare. Contrairement à une rumeur idiote, les années 80 furent en effet riches en grands groupes de rock, et il n’est qu’à citer ici Cure, les Smiths, My Bloody Valentine, les Pale Fountains, les Pixies, Sonic Youth ou autres Prefab Sprout. Stutter est un disque qui ne ressemble à aucun autre, même si on peut y retrouver disséminées les influences de Patti Smith, des Smiths ou des Feelies. A vrai dire, ce disque m’a d’abord décontenancé et il me fallut plusieurs écoutes avant d’y pénétrer. Stutter déconcerte en effet par sa frénésie – qui se change parfois en folie furieuse – , sa richesse, son intensité, son lyrisme et son humilité. Stutter semble parfois conçu comme une forteresse bâtie par Tim Booth et sa bande, forteresse édifiée pour les protéger du reste du monde et préserver leur innocence et leurs fêlures. Les chansons échappent le plus souvent à la structure couplet-refrain et se laissent porter par les guitares tranchantes et vertes (comme un fruit encore vert) de Larry Gott, le chant exalté ou humble, tendre ou colérique de Tim Booth et les rythmiques kamikazes de l’exceptionnel batteur Gavan Whelan.
L’introductif Skullduggery s’ouvre par ces paroles malades: “An earwhig crawled into my ear/ Made a meal of the wax and hair/ Phoned friends, had an insect party/ But all I could hear was a bass drum drum”. Le morceau détale alors sur une rythmique de cavalcade et se barre méchamment dans le décor tandis que Tim Booth s’envole dans les aigus. On retrouve ces étonnants dérapages vocaux sur Summer songs ou Just hip, sur lesquels Booth se rapproche de l’hystérie. Mais le groupe sait aussi sortir de sa poche des mélodies imparables comme sur le lyrique So many ways ou le superbe Really hard qui masque ses failles en recourant à des chœurs second degré. James se permet surtout d’aligner un incroyable tiercé: Johnny yen, Why so close et Black hole. Johnny yen raconte la fascination exercée sur son public par un chanteur autodestructeur et donne envie de reprendre le refrain en chœur les bras levés. James s’approche ici dangereusement d’un stadium-rock à gros sabots mais emporte la décision par sa folle innocence. Avec Why so close, le groupe délivre un morceau réellement exceptionnel, sorte de chant païen porté par une simple guitare acoustique, quelques notes de piano et quatre voix à l’unisson. James chante alors comme l’on cherche à se rassurer au coin du feu, pour se protéger des bêtes sauvages et des mauvais esprits et ce chant semble remonter jusqu’à la nuit des temps, atteignant des sommets d’intensité fervente. Au final, le disque se conclut sur le crépusculaire Black hole, entre chien et loup, feu couvant encore dans la nuit avant d’embraser tout le paysage, Tim Booth entrant dans une transe quasi chamanique pour littéralement partir en vrille au nez de nos oreilles.
Stutter est donc un authentique chef-d’œuvre, tendu et vibrant, qui mérite d’être redécouvert et défendu. Même si je ne connais pas parfaitement l’œuvre ultérieure de James, le groupe aura tendance à peu à peu abuser de son goût pour le lyrisme pour flirter avec l’enflure et sonner parfois comme une resucée de Simple Minds (cf le morceau Born of frustration). Le très beau Laid de 1993 est le dernier album que j’ai écouté du groupe, celui-ci ayant sorti depuis quatre autres albums studio.
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[…] ses immenses qualités artistiques, le génial Stutter n’obtint qu’un succès d’estime auprès du public. En réaction, James se replie […]