Les fables du musicien
Thomas Fersen Qu4tre (1999, Tôt ou Tard)
Depuis ses premiers pas discographiques il y a déjà presque vingt ans, Thomas Fersen a su créer un territoire bien à lui dans la chanson d’ici, une étonnante zone franche peuplée d’animaux anthropomorphes et d’humains de toutes sortes, souvent gens ordinaires habités d’une folie tantôt douce, tantôt plus inquiétante. Loin d’être réductible à l’étiquette un brin moisie de “nouvelle chanson française” qu’on a pu lui accoler à l’occasion, Thomas Fersen est bien plutôt un singulier singleton, héritier improbable de Lewis Carroll, de Bourvil, de Tom Waits et de La Fontaine.
Quatrième album (comme son nom l’indique) du sieur Fersen, Qu4tre offre un condensé épatant du talent du bonhomme, voyage fabuleux au cours duquel l’auditeur rencontrera tour à tour un postier amoureux, un menteur invétéré, un tueur en série, des moucherons, un lion, une chauve-souris et un parapluie. Bien au chaud dans les murs du label Tôt ou Tard de son ami Vincent Frèrebeau, Fersen s’entoure ici d’une fine équipe de musiciens précieux, de Didier Lockwood au fidèle complice Pierre Sangra, en passant bien sûr par l’inestimable Joseph Racaille dont les talents d’arrangeur illuminent l’album comme plus tard d’autres disques majuscules, de Bashung à Dominique A en passant par Dick Annegarn.
Le disque brille en tous cas de mille feux, Fersen accordant autant d’attention à la qualité des textes qu’à l’épaisseur des musiques. Il échappe avec talent au risque de figer ses chansons dans une approche trop littéraire qui ferait de sa musique un simple faire-valoir. Fersen se révèle autant fabuliste que songwriter, conjuguant les dons pour nous ravir de ses histoires improbables, ces saynètes fantastiques et triviales, le bonhomme excellant à entremêler le commun et le merveilleux.
Le résultat atteint dans les meilleurs moments des sommets peu fréquentés dans la chanson d’ici. Il faut ainsi écouter l’imposant Monsieur, portrait d’un serial killer bourgeois par son domestique complice, dont l’atmosphère gothique teinté d’humour noir est rehaussé par une orchestration digne de Morricone ou de Danny Elfman. D’autres morceaux viennent confirmer les dons de portraitiste de Fersen, le rêveur Irène que fait décoller une escouade de cuivres ou le tendre et cruel Dugenou. Fersen et sa bande se montrent par ailleurs habiles pour jongler avec les styles, des intonations tziganes de La chauve-souris ou Marie-des-Guérites (à humilier un Thomas Dutronc) en passant par le clavecin classique de l’étonnant Chez toi. Le disque se clôt sur la somptueuse ballade La chandelle, dont les frissons de cordes ne dépareilleraient pas sur un album des Tindersticks.
Thomas Fersen continue son chemin, drainant autour de lui un public fidèle et nombreux. Quatre albums studios ont paru depuis Qu4tre, de Pièce montée des grands jours en 2003 à son dernier opus en date (que je ne connais pas), Je suis au paradis sorti en 2011. Je recommanderai également l’écoute de son Best of de poche, formidable relecture au ukulélé de ses morceaux, confirmant que le bonhomme n’était jamais où l’on pourrait l’attendre.
3 réponses
[…] teintée d’ambiguïté, qui vient clore de la plus belle des façons le remarquable Qu4tre dont j’ai parlé il y a seulement quelques […]
[…] déjà fait part ici de mon affection pour l’art décalé de Thomas Fersen, mais si je revendique volontiers ma […]
[…] la discographie singulière et attachante de Thomas Fersen, Qu4tre demeure vingt ans après sans doute le plus haut sommet. Et sur ce disque brillant […]