Et viva España
Pour ce très beau weekend à Madrid début mars, pour une ballade à Lavapiès, pour le FC Barcelone et l’Athletic Bilbao, pour Astérix en Hispanie, pour les fantasmes qui entourent ce pays que je connais trop mal mais sans qui me manquerait une part de moi, voici une excursion en 10 chansons à travers l’Espagne, son histoire et sa géographie.
1. The Nits Sketches of Spain (1989 sur Urk)
Si ce morceau figure originellement sur l’album Kilo de 1983, j’ai choisi ici la version live qu’on trouve sur le magistral double album Urk, en partie pour rendre hommage aux prestations scéniques enchanteresses de ces trop méconnus et géniaux Néerlandais. La guerre d’Espagne a inspiré un imaginaire artistique foisonnant et les Nits en livrent ici une évocation à la fois forte et délicate, portée par l’inégalable sens du silence et de la note juste du groupe. En gens de goût, on appréciera aussi la référence à Miles Davis du titre.
2. The Doors Spanish caravan (1968, Waiting for the sun)
Bien que le groupe ne lésine pas sur les clichés (guitare flamenco, image d’une Espagne de vin et d’or proche de l’Eldorado…), le morceau séduit par la grâce d’un Morrison tout en retenue, presque lymphatique, qui confère à l’ensemble la touche onirique juste pour tenir à distance le risque de caricature. On embarque donc dans la caravane, des rêves d’Andalousie plein la tête.
3. Chris Isaak Blue Spanish sky (1989, Heart shaped world)
L’Espagne est un bel endroit pour aller noyer un chagrin d’amour, et le cagnard qui tape se marie ce qu’il faut à la lourdeur du cœur. Chris Isaak joue à merveille le rôle de l’amant éploré, la voix de crooner oscillant avec classe entre suave gravité et falsetto lyrique.
4. Bertrand Belin Barcelone (2005, Bertrand Belin)
Impossible d’évoquer l’Espagne sans s’arrêter un instant sur ses villes mythiques, Barcelone en tête. Sur ce petit chef-d’œuvre aux couleurs jazzy, Bertrand Belin se réfère à la chanson du même nom de Boris Vian, prétexte à une merveille de poésie descriptive, que le Gainsbourg des années 50 n’aurait sans doute pas reniée.
5. Rufus Wainwright Barcelona (1998, Rufus Wainwright)
Trop à voir à Barcelone pour y passer en une chanson et il serait dommage d’oublier ce somptueux titre bleu nuit extrait du prodigieux premier album du Canadien. L’exubérante Barcelone devient ici endroit rêvé pour un ailleurs et Wainwright en livre une évocation toute en finesse, qui effleure et reste dans l’air comme une fragrance nocturne, un souvenir ou une promesse. De toute beauté.
6. Holden Madrid (2006, Chevrotine)
Alors qu’on associe souvent Madrid à l’éclat de l’or et du vermillon, les Parisiens d’Holden préfère en tamiser les lumières, dans une ambiance noctambule propice à tous les vertiges et porteuse de bien des mystères. Le groupe se rapproche ici des déambulations des Tindersticks qu’il teinte de tonalités jazzy pour un résultat des plus envoûtants.
7. John Cale Andalucia (1973, Paris 1919)
On file vers le Sud avec ce grandiose morceau de l’immense John Cale extrait de son prodigieux Paris 1919. La chanson traduit parfaitement l’espèce d’onirisme décadent qui emplit ce disque insondable et lumineux à la fois et l’Andalousie devient ici territoire mental pour lequel on languit dans un écrin ouaté. Yo La Tengo en livrera une impeccable version sur son superbe Fakebook de 1990.
8. Pinback Seville (2001, Blue screen life)
On ne répètera jamais assez à quel point ce duo américain créa entre ce siècle et le précédent une des plus belles musiques de notre époque, écheveau intrigant et d’une étrangeté fascinante. On retrouve sur ce morceau les ingrédients qui rendaient alors Pinback si précieux, cet entrelacs d’arpèges hypnotiques et de basse élastique, ces voix qui se répondent pour mieux nous enserrer dans les mailles de leur filet. Ce Seville n’est qu’une des pièces d’un fascinant casse-tête, qu’on n’a toujours pas su résoudre depuis dix ans.
9. Boby Lapointe Aragon et Castille (1960, Aragon et Castille)
Pour le plaisir d’entendre un type capable de chanter : “A propos de pied chantons jusqu’à demain”, on ne pouvait qu’ajouter à cette sélection cette chanson inoubliable, burlesque, fine et d’une vivacité d’esprit qui nous rend tous lents. Sancho Pança rieur et malicieux, Boby Lapointe demeure toujours aussi brillant.
10. The Clash Spanish bombs (1979, London calling)
On finira comme on a commencé, avec une évocation de la guerre civile espagnole, creuset des failles de notre civilisation. Grand classique d’un groupe immense, ce Spanish bombs résonne de toute sa force tranchante, de toute sa rage glorieuse. La classe, tout simplement.