Les enfants prodigues
The Sneetches Sometimes that’s all we have (1989, Alias Records)
Il est toujours fascinant de constater à quel point les relations nouées avec les disques varient au fil du temps. Certains vous accompagnent votre vie durant, épousant les intermittences du cœur, se formant et se déformant comme votre esprit avec l’âge ; d’autres au contraire se rangent au rayon des amours éphémères, étreintes passionnées de quelques jours ou rencontres sans feu occupant une paire d’heures. Un même album, une même chanson pourra tour à tour vous indifférer ou vous enthousiasmer à quelques années d’intervalle. Peu de choses s’avèrent au final plus passionnantes que ces infinis jeux de miroirs.
Mais veuillez excuser ces quelques lieux communs… J’ai écouté ce disque des Sneetches la première fois il y a déjà plus de quinze ans. Je n’en fus alors guère bouleversé, appréciant néanmoins la joliesse de quelques mélodies et en fixant même quelques unes sur une cassette que je n’écoutai que très épisodiquement – et de moins en moins au fil des ans, évolution technologique obligeant. Il m’arrivait pourtant de chantonner pour moi-même quelques uns de ces airs accroche-cœurs, comme cela, en passant… Je ne sais pourquoi l’envie me prit l’autre jour de réécouter cet album mais sa lumière m’apparaît aujourd’hui sous un tout autre éclat.
Les Sneetches se forment au milieu des années 1980 à San Francisco autour de Matt Carges et Mike Levy, en partie en réaction contre l’hégémonie d’alors de la new-wave, sur les ondes et dans les charts. Le groupe ne jure en effet que par les mélodies sucrées et les harmonies célestes d’une certaine pop sixties, s’abreuvant notamment aux grands crus californiens du genre, Beach Boys en tête. Après un premier album ressemblant plutôt à une compilation de démos, Lights out with the Sneetches (1988), Sometimes that’s all we have est souvent considéré comme le véritable premier album du quartet.
Emballées dans cette pochette pluvieuse, les Sneetches délivrent douze perles pop honteusement mélodieuses et lumineuses. La production enveloppe ces guitares carillonnantes, ces pianos enjoués, cette voix emplie de nonchalance maligne d’un halo proprement olympien. Certains titres semblent ainsi droit sortis du répertoire des anges, tel le prodigieux morceau-titre, pièce montée éblouissante digne du meilleur Beach Boys. De cette atmosphère cotonneuse et onirique irradie une drôle de lumière oscillant constamment entre la joie et la mélancolie. Les chansons sont interprétées avec une innocence et une spontanéité presque enfantines, comme chez les La’s ou Papas Fritas, autres grands innocents aux mains pleines. Cette lumière omniprésente ne suffit pourtant pas à dissimuler les zones d’ombre parsemant les textes du groupe, comme sur le formidable Another shitty day.
De l’euphorisant Unusual sounds introductif au Zombies-que You’re gonna need her en passant par un In a perfect place en lévitation, Sometimes that’s all we have se montre peu avare en bonheurs pop qui raviront les amateurs de mélodies fines. “Sometimes that’s all we have…” chantent les Sneetches : on s’en contentera amplement.
Les petites merveilles intemporelles des Sneetches resteront largement confidentielles, balayées par la folie Madchester et la furia grunge alors sur le devant de la scène. Le groupe publiera encore cinq albums – dont j’ignore absolument tout – au cours des années 1990 – avant de disparaître.
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[…] The Sneetches In a perfect place [1989, Sometimes that’s all we have] […]