L’arc-en-ciel et le rétroviseur
Foxygen We are the 21st century ambassadors of peace & magic (2013, Jagjaguwar)
Copains de collège, Sam France et Jonathan Rado forment Foxygen à seulement 15 ans du côté de Los Angeles en 2005. Unis par une même fascination pour la pop et le rock des années 1960-70 et pour le cerveau cramé d’Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre, les deux compères enregistrent une foultitude de morceaux à la maison, qu’ils se chargent de distribuer par eux-mêmes. Ce n’est qu’en 2012 que le groupe se dégote un label indépendant, Jagjaguwar, qui s’occupe de son opus Take the kids off Broadway. L’album se fait suffisamment remarquer pour permettre au groupe de rencontrer le producteur Richard Swift qui accepte d’officier derrière la console sur son prochain LP. Ce sera ce pétillant We are the 21st century… paru en début d’année dernière.
I met your daughter the other day / Well, that was weird / She had rhinoceros-shaped earrings in her ears
Shuggie
J’avoue que l’écoute – peu attentive – de Take the kids off Broadway m’avait quelque peu laissé sur ma faim, malgré le soutien de fort estimables blogueurs. Le charme de cet album-ci aura en revanche davantage opéré, à quelques réserves près. Car Foxygen a de quoi légèrement irriter, il faut bien l’admettre. Voici un groupe dont l’horloge interne semble s’être arrêtée en 1975 du côté de la « vieille » Angleterre ; la brit-pop nous avait agacé pour moins que ça. Foxygen affiche ses références si ouvertement que l’auditeur un tant soit peu averti pourra s’amuser à repérer au fil de leurs chansons les emprunts et citations aux grands anciens, tel par exemple ce riff sur On Blue mountain droit sorti du Under my thumb des Rolling Stones. La citation ou l’emprunt (plus ou moins avoués) sont consubstantiels à la pop et au rock mais on avouera une certaine méfiance pour un groupe fixant le rétroviseur avec autant d’insistance, jusque dans sa façon de s’habiller. La qualité des chansons aura finalement raison de nos réticences. Car Foxygen ne se contente pas de singer ; le duo a les mains suffisamment habiles pour donner une interprétation très personnelle d’une musique bien plus vieille que ses artères et aboutir au final à un résultat plutôt réussi. Si on ajoute un phrasé délicieusement cool et des paroles mêlant humour et absurde, on arrive à quelque chose de tout à fait vivifiant.
Standing on the moon, I saw you, love / Do you think we’ll be somebody ? / Just standing all alone right in front of me / Do you think we’ll see ?
Oh no 2
L’introductif In the darkness donne le ton, proposant quelque chose comme la rencontre entre le Sergeant Pepper’s des Beatles et MGMT. Mais le meilleur est à venir. Avec San Francisco et No destruction, Foxygen aligne deux ballades à la coolitude irrésistible, déambulant avec l’arrogance et la décontraction qu’il faut, un brin d’herbe au bec et un bob sur la tête. Sur On Blue mountain, le groupe endosse la panoplie stonienne avec suffisamment de classe pour qu’on ne crie pas aux pillards. On trouvera plus indigeste les plus brouillons Oh yeah ou Bowling trophies mais cette propension du groupe à passer du coq à l’âne sur un même morceau fonctionne bien mieux sur le tourbillonnant Shuggie. Un peu plus loin, Foxygen parvient à nous entraîner dans un délirant boogie, sur un morceau-titre pétaradant de couleurs psychédéliques. Le disque se conclut sur la ballade opiacée Oh no 2, que Spiritualized n’aurait pas reniée et qui fait également penser au Pavement bleu nuit de Brighten the corners, laissant l’auditeur un bel arc-en-ciel en tête.
I left my love in San Francisco (That’s okay, I was bored anyway) / I left my love in San Francisco (That’s okay, I was born in L.A.) (San Francisco)
Si je ne ferais certainement pas de ce We are the 21st century… un impérissable chef-d’œuvre, il aligne suffisamment de qualités pour s’incruster dans nos têtes. A voir si le groupe saura franchir la marche suivante, sans tomber dans les pièges qui le guettent et dans lesquels il menace déjà parfois de se prendre.