Les oiseaux de nuit
Hurleurs Blottie (2002, Barclay)
Ce sextet parisien fourbit ses premières armes discographiques au milieu des années 1990 avec l’album Bazar (1996), suivi quatre ans plus tard de Ciel d’encre. J’avoue qu’aucun de ces disques ne parvint jusqu’à moi, et je sais simplement qu’ils furent tous deux rattachés à la scène “néo-réaliste” française, dans la lignée des Têtes Raides et autre La Tordue, scène que je ne connais que de loin. Je ne découvris donc les Hurleurs qu’avec ce troisième opus et c’est peu de dire que le groupe ne croisait plus alors dans les mêmes eaux (si tant est que les échos reçus de leurs premiers travaux eussent été véridiques).
Avec Blottie, les Hurleurs naviguent dans un univers anthracite, évoquant aussi bien les ambiances crépusculaires des Tindersticks que les mélopées noctambules de Nick Cave, le tout relevé des influences libératrices de quelques francs-tireurs d’ici (Bashung ou Kat Onoma). Portées par la voix de Jean-Christophe Versari, qu’on peut présenter comme le leader du combo, les compositions des Hurleurs semblent rarement voir la lumière du jour. Inquiètes et fiévreuses, ces chansons exsudent les nuits d’insomnie et les fantômes qui viennent alors nous hanter. Au cours de ces déambulations nocturnes, le couple apparaît tel un ultime refuge dans un monde en déliquescence, mais les étreintes sont fugaces et maladroites et leur halo protecteur ne dure pas. Les textes de Versari sont la plupart du temps remarquables et le groupe a su s’allier les grâces de quelques bienveillants anges gardiens, du producteur Ian Caple (Tindersticks entre autres) au guitariste de Portishead Adrian Utley. On soulignera également l’usage des cuivres qui recouvrent la plupart des titres d’une lumière cendrée, d’une chaleur inquiète.
Le disque s’ouvre par un instrumental haut de gamme, l’éponyme Blottie puis le groupe nous invite à traverser L’épreuve du feu, dans une sorte de transe vaudoue qui envoûte et angoisse à la fois: “Dans cette folie débonnaire/Cette folie moins ordinaire/Si on joue à s’oublier/Est-ce que tu veux bien me rencontrer?”. Les plus beaux moments du disque suivent alors avec le fantastique Il y a des jours, chanson d’une poésie rare et d’une sensualité folle, sur laquelle l’amour et la chair ouvrent une parenthèse urgente dans la noirceur du quotidien: “J’aime ces moments même si le dire/n’est pas mon genre, c’est un aveu/Je fais un effort aujourd’hui/Car aujourd’hui je suis moins vieux/Je suis moins touché par la vie/ Il y a des jours qu’est-ce que j’y peux?/ Il y a des jours où c’est ainsi/il y a des jours où ça va mieux”. Parmi les hauts faits de l’album, on mentionnera aussi Derrière la buée, déambulation blême et magnifique derrière les vitres d’un train (d’un car?) et l’épique De la peau à la peau. On n’oubliera pas le merveilleux Les oiseaux de nuit qui cristallise en lui seul l’intranquillité fragile qui parcourt l’ensemble du disque. J’ai eu la chance d’écouter une version de l’album agrémentée de quatre bonus, quatre reprises culottées pour la plupart fort réussies, avec mention à une relecture déflagrante d’India song de Marguerite Duras (interprétée à l’origine par Jeanne Moreau) et à la version somnambule du The other side of town de Curtis Mayfield, sur laquelle Versari cède le micro à Stuart Staples des Tindersticks (encore? et oui!).
Le groupe ne parvint pas à décrocher le succès qu’il méritait et l’aventure collective s’arrêta là. Jean-Christophe Versari est revenu en 2007 avec un groupe portant son propre nom, Versari, pour un album intitulé Jour après jour que je n’ai pas eu l’occasion d’écouter.
1 réponse
[…] à même un ciel noir d’encre, ce morceau tiré du remarquable troisième – et ultime – album de ce groupe disparu en 2003 nous donne une véritable leçon de sensualité fiévreuse dont on ne […]