Les orgueilleux
The Only Ones The Only Ones (1978, Sony)
Les Only Ones n’ont jamais été vraiment raccords avec leur époque. Portés sur le devant (?) de la scène par la déferlante punk, ce quatuor anglais semblait en fait n’être là que par la grâce d’un malentendu. Quand les punks prônaient la table rase, Peter Perrett ne jurait que par le rock lettré de Dylan ou Lou Reed ; quand les punks crachaient sur la virtuosité et revendiquaient leur incompétence pour sanctifier leur fougue, le groupe affichait une moyenne d’âge proche de la trentaine et un pedigree de musiciens de très haut niveau. Musicalement aussi, il est difficile de rattacher les Only Ones au seul mouvement punk tant leur champ d’expression musical dépasse de loin la furia binaire des Ramones ou des Pistols. C’est bien plutôt du côté de Television et du punk new-yorkais qu’on pourrait aller leur chercher une famille.
Ce premier album les campe en tout cas d’emblée comme seuls et uniques, drôle d’astre décadent dans la nébuleuse punk. Avec le chant traînant et drogué de Peter Perrett en figure de proue, les Only Ones alignent dix compositions brillantes, certaines touchant carrément à la perfection ou peu s’en faut. Le disque s’ouvre par la somptueuse ballade The whole of the law, dont la langueur vénéneuse confère d’entrée au groupe une dimension inhabituelle, proche des dérives noctambules du Velvet Underground. Le groupe marque ici son originalité en collant sur son morceau un épatant solo de saxophone, bien éloigné des canons esthétiques alors en vigueur. Au fil du disque, les Only Ones placent de véritables perles comme le classique Another girl, another planet, morceau ahurissant synthétisant en à peine trois minutes la grâce et l’élégance sauvage du groupe. On retiendra aussi les effluves jazzy de Breakin’ down, comme tout droit sorti du premier album des Doors. On insistera surtout sur l’extraordinaire The beast, morceau malade et toxicomane (se référant explicitement à l’héroïne et évoquant la dépendance de Perrett) qui se termine par une formidable envolée fauve, un solo de guitare décapant venant croiser le fer avec une section de cuivres en fusion. Lors de la seconde moitié du disque, le groupe parvient encore à placer des petits bijoux comme No peace for the wicked ou The immortal story pour conclure ce premier essai en beauté.
Loin de son époque, le disque ne rencontrera qu’un succès d’estime mais le groupe sortira encore deux autres albums Even serpents shine et Baby’s got a gun (que je ne connais pas encore) avant que de splitter, miné par l’insuccès et la drogue qui ronge Peter Perrett. Celui-ci traversera les années 1980 comme un zombie avant de finalement refaire surface en 1996 avec Woke up sticky. Le disque passa là encore relativement inaperçu mais l’influence de son ancien groupe n’avait pas fini de se faire sentir. Des Replacements aux Libertines, c’est toute une génération de groupes de haute tenue qui s’inspireront des chansons malades et fiévreuses des Only Ones. Les trois albums du groupe ont été réédités cette année.