La créature de Frankenstein
The Folk Implosion One part lullaby (1999, Domino)
The Folk Implosion est une des nombreuses identités endossées par Lou Barlow au long d’une carrière protéiforme. Barlow fait ses débuts comme bassiste de Dinosaur Jr, groupe hardcore américain mythique né au milieu des années 1980, qu’il quitte rapidement pour cause d’incompatibilité d’humeur avec son leader Jay Mascis. Il fonde alors Sebadoh et devient rapidement figure de proue de ce qu’on appellera l’éthique lo-fi, sorte d’artisanat militant du rock indépendant, préférant toujours la vérité des enregistrements 4 pistes aux options offertes par la technologie. Barlow devient ainsi une sorte de héraut lo-fi, versant rock hardcore avec Sebadoh, version folk cabossé avec Sentridoh mais toujours avec une ferveur et un talent lui permettant d’offrir au rock américain de formidables chansons et au moins un excellent album avec Bakesale paru en 1994. L’ambiance tourne alors doucement au vinaigre au sein du groupe et Barlow s’acoquine avec un de ses fans, le guitariste John Davis, pour monter un nouveau combo qu’ils baptisent The Folk Implosion, en guise de clin d’œil au Jon Spencer Blues Explosion. Le groupe se retrouve alors à composer la bande originale du film Kids de Larry Clarke et décroche alors un hit des plus inattendus avec la chanson Natural one. Le groupe publie un premier album en 1997, Dare to be surprised, que je ne connais pas avant d’enchaîner avec ce très bon One part lullaby.
Loin du bruitisme hardcore de Sebadoh, The Folk Implosion livre ici un disque de pop mutante et aventureuse, à la fois complexe et accessible. Le groupe greffe ainsi à un entrelacs savant de boucles et de samples toute une instrumentation folk-pop, menée le plus souvent par d’entêtantes phrases de guitares mais utilisant également toute une gamme d’instruments, du melodica au glockenspiel en passant par la harpe et le banjo. De cet ensemble se dégage le chant mélancolique et endolori de Barlow, les nerfs certainement moins en pelote qu’à l’époque de Sebadoh, mais semblant garder en lui une bonne dose de tension, réellement au bord de l’implosion. Au final, l’auditeur se trouve face à un drôle de disque Frankenstein, mêlant des éléments hétéroclites pour créer une drôle de créature, unique et un peu boiteuse, triste et belle à la fois.
Cette mélancolie enrobe quelques-uns des plus beaux morceaux de l’album, comme l’aérien Gravity decides ou l’emballant No need to worry. Le groupe s’offre également un hommage incisif à Gainsbourg avec l’excellent Serge sur lequel on retrouve le sample de l’intro immortelle du Requiem pour un con. Sur Kingdom of lies, le groupe se meut dans un inquiétant marécage de guitares acides et de basses moites. Surtout, avec le magnifique Free to go, Barlow réussit un chef-d’œuvre doux-amer, saisissant de justesse et de fragilité, ancrant dans ma mémoire la figure de ce petit garçon assis à l’arrière de la voiture familiale, rêvant d’ailleurs et scotché dans un présent qu’il ne peut quitter encore : « Trapped in the back seat / Stay on your side / My hand out the window / Feeling the wind rush by / While my parents fight ». Mon cheminement musical ne m’a pas permis de recroiser depuis l’œuvre de Lou Barlow. Je sais que le groupe a sorti un album en 2003 intitulé The new Folk Implosion et Barlow mène depuis une carrière solo honteusement discrète. Je garde cependant en mémoire le souvenir ému et une trace sur cassette d’un passage bouleversant et hanté en session acoustique chez Bernard Lenoir qui doit dater d’il y a trois ou quatre ans .