La ligne claire
JP Nataf Clair (2009, Tôt Ou Tard)
Il aura fallu pas moins de cinq ans à JP Nataf pour donner suite à son formidable Plus de sucre de 2004. Entre-temps, l’ex-Innocent n’avait pas pour autant été complètement absent et on avait ainsi pu le retrouver de-ci de-là, engagé dans des collaborations souvent fort recommandables, à l’image de sa participation au remarquable Imbécile d’Olivier Libaux. Le temps de maturation de ces chansons n’aura en tout cas pas été vain tant Clair constitue une réussite éclatante, évoluant un cran encore au-dessus de son pourtant magnifique prédécesseur.
Avalons ce feu follet d’un trait / Et allons mélanger nos couleurs à la rivière / Ce sont des perles ces galets / Qu’y a t-il ici-bas de meilleur / Qu’un jour sans erreur ?
Un jour sans erreur
Avec ce disque d’une profondeur de champ peu commune, à la fois dense et ouvert, JP Nataf convie l’auditeur à arpenter des territoires changeants comme les rêves ou les nuages au vent. Ce « Nataf-land» se visite en plein air, pour mieux éprouver sur sa peau les incessantes variations des éléments qu’il ne cesse de provoquer. Comme souvent, JP Nataf s’est ici bien entouré, rassemblant autour de lui une bande de compagnes et compagnons de premier choix, autant de frères et sœurs d’âme travaillant de concert à embellir le monde. Bertrand Belin, Mina Tindle, Albin de la Simone et surtout son ex-alter-ego au sein des Innocents, Jean-Christophe Urbain, apportent ainsi chacun leur touche à un disque qui s’applique à se parer de toute la gamme des couleurs séparant la joie de la mélancolie. Dépourvu d’angles aigus, Clair se moque des rigueurs d’une géométrie au cordeau pour dessiner de perpétuelles lignes de fuite, des boucles élastiques et de souples spirales. Dans ces paysages mouvants, l’auditeur traversera des sous-bois humides vaguement inquiétants (Monkey), des rivières limpides (Un jour sans erreur) , s’offrira le vertige du grand large (Le radeau) ou des figures aériennes (Clair, Viens me le dire). Et en plein milieu de ce monde parfait, il trouvera une chanson aux allures de cathédrale avec ce Seul alone monumental, construction époustouflante vers laquelle on revient sans cesse. Centre de gravité du disque, Seul alone est un morceau unique, foisonnant poème en prose aux fulgurances sidérantes, torrent de sensations et de sentiments mêlés qu’on peut choisir de contempler depuis la rive, gorgé d’admiration ou de s’en laisser submerger, emporté par son courant chaud et mystérieux. On soulignera d’ailleurs à quel point JP Nataf se révèle tout du long de cet album un parolier de premier ordre, d’une rare poésie, fluide et belle.
Je m’en remets je jalonne / Mon périmètre amer / Je m’en sors, je m’en donne / Je zigzague entre les arbres / Et je me sens mieux / Je remise d’autant mieux / Que je tend les digues , que le temps / Me baise la main… libre, la main libre
Monkey
Mais si Seul alone mérite tous les hommages, sa stature ne doit pas pour autant laisser dans l’ombre la beauté des onze autres chansons qui l’accompagnent. Entre un Myosotis inaugural aux senteur de tango et cet A mandoline rieur terminal, chacun pourra choisir les séductions qu’il préfère, tracer ses propres itinéraires en fonction de ses humeurs. J’avoue une affection particulière pour les figures en apesanteur d’Un jour sans erreur ou du génial Viens me le dire, deux chansons sur lesquelles s’ébat un banjo en liberté. J’avoue aussi mon amour éperdu pour Le radeau et sa façon d’aller se confronter aux vagues mais on pourra aussi recommander le folk humble des Lacets.
A nous deux terres touchées, villes ouvertes, vallées repues de verre / Le vent dépend de la frontière / Le temps déporte la frontière / La frontière ferme mal
Viens me le dire
Disque sans collier, Clair confirmait JP Nataf comme un des plus fins francs-tireurs de la musique d’ici. Depuis 2015, il remet son talent au service des Innocents, pour notre plus grand bonheur. On le suivra toujours, de près ou de loin.