Le défroqué
Father John Misty I love you, honeybear (2015, Bella Union)
Comme le réclame la tradition, permettez-moi de commencer ce premier billet de 2016 en vous souhaitant, chères lectrices et chers lecteurs, une excellente nouvelle année ; que celle-ci soit meilleure que 2015 et que la musique continue de vous accompagner, vous transporter, vous réjouir, vous bouleverser comme elle ne manquera certainement pas de le faire pour moi. J’entends bien continuer de vous faire partager quelques-unes de mes marottes, mes grandes passions comme mes petites affections et espère que vous garderez plaisir à me suivre, régulièrement ou occasionnellement. Passé ce préambule, retournons à la musique et débutons 2016 en revenant sur un des albums marquants de l’année écoulée avec ce deuxième opus de l’extravagant Josh Tillman, alias Father John Misty.
Oh honeybear, honeybear, honeybear / Mascara, blood, ash, and cum / On the Rorschach sheets where we make love
I love you, honeybear
J’ai déjà parlé ici du premier album du bonhomme – sous cette identité – , son excellent Fear fun de 2012. A en croire la position avantageuse de cet I love you, honeybear dans nombre de bilans de fin d’année, il semble que l’étonnant Father ait franchi un palier substantiel en terme de reconnaissance critique. On concèdera volontiers que ce n’est que justice tant cet album, malgré ses côtés agaçants, aligne une belle bordée de morceaux de tout premier plan. On rappellera en deux mots le parcours de Josh Tillman à l’usage des béotiens : chanteur folk défroqué, ex-batteur des Fleet Foxes, réincarné en songwriter baroque et flamboyant après une révélation sous l’emprise de champignons hallucinogènes joliment catalysée par l’appui du formidable Jonathan Wilson à la production.
First time you let me stay the night / Despite your own rules / You took off early to go cheat your way through film school / You left a note in your perfect script / Stay as long as you want / I haven’t left your bed since
Chateau Lobby #4
Sur ce deuxième opus donc, Father John Misty creuse plus profond les sillons tracés sur Fear fun, au risque pleinement assumé de la grandiloquence. En laissant derrière lui son nom et son ancienne idiosyncrasie folk, Father John Misty a choisi de ne plus brider ses ambitions musicales et ses penchants extravertis. On l’aura donc vu assurer le spectacle dans nombre de prestations scéniques et télévisuelles, jouant volontiers le rôle de pasteur païen, salace et ironique, prenant plaisir à désarçonner ses interlocuteurs par un trait d’esprit ou de grand n’importe quoi. Une bonne part de l’intérêt du disque tient d’ailleurs dans cette perpétuelle tension entre les racines folk qui fondent l’identité musicale du bonhomme et son goût pour les paillettes et un songwriting plus flashy, fortement inspiré par une pop 70’s riche en arrangements voluptueux, de Randy Newman à Elton John. Father John Misty parvient donc à être tour à tour sincère et railleur, salace et émouvant, fragile et fanfaron, sans que l’on sache vraiment toujours sur quel pied danser. Il prolonge ainsi la lignée des bipolaires du rock, celles et ceux qui choisissent de revêtir un masque (ou plusieurs, n’est-ce pas monsieur Bowie) pour mieux brouiller les pistes, jouant à être autres pour mieux être eux-mêmes. I love you, honeybear est aussi, comme son titre l’indique, un disque d’amour, une déclaration à sa récente épouse Emma Rate et aux troubles divers (joies et doutes mêlés) provoqués par le mariage dans le ciboulot de notre barbu pas barbant.
She blames her excess on my influence but gladly Hoovers all my drugs / I found her naked with her best friend in the tub / We sang « Silent Night » in three parts which was fun / Til she said that she sounds just like Sarah Vaughan / I hate that soulful affectation white girls put on
The night Josh Tillman came to our apt.
Dans ses meilleurs moments, l’album plane à de majestueuses hauteurs et déroule quelques merveilles drapées de soie et de satin. Ce sera d’abord le fantastique Chateau lobby #4 (in C for two virgins), dont les trompettes espagnoles n’auront cessé de me chanter la sérénade tout au long de l’année. Sur When you’re smiling and astride me, Father John Misty troque la soutane pour un costard de crooner haut de gamme et s’offre un final choral avec moult violons que n’aurait pas renié Spiritualized. On accordera bien entendu une mention spéciale au génial The night Josh Tillman came to our apt., ballade sur coussin d’air d’une classe folle tout autant que règlement de compte vachard avec une conquête d’un soir. Father John Misty se fait aussi critique acerbe des médiocrités de la société américaine sur Bored in the USA. Et quand le monsieur se montre à nu, il livre le très touchant Holy shit, ballade pour piano et guitares que viennent faire vibrer des cordes enfiévrées. Le disque se clôt sur le superbe et humble I went to the store one day qui apporte une touche crépusculaire d’une grande beauté, comme si les projecteurs s’étaient éteints après le show, laissant Tillman reprendre la place cédée par la figure envahissante de Father John Misty.
Oh, and love is just an institution based on human frailty / What’s your paradise gotta do with Adam and Eve? / Maybe love is just an economy based on resource scarcity / What I fail to see is what that’s gotta do with you and me
Holy shit
Alors, certes, l’album pâtit de quelques scories, tel le rock un peu pataud de The ideal husband ou l’électro-pop un peu hors sujet de True affection et la frontière séparant le grandiose du grandiloquent est parfois ténue mais cet I love you, honeybear reste sans conteste un disque marquant de 2015.
Bonjour,
je me balade ici depuis quelques semaines et j’apprécie beaucoup ce que j’y lis…
Concernant Father John Misty, je n’arrive pas à apprécier pleinement mais je n’en trouve pas la raison…:)
Bonne continuation!
Bonsoir
merci pour le commentaire. Votre site m’a l’air plein de bonnes choses aussi, je ne manquerais pas d’aller voir. Quant à Father John Misty, je l’aime bien mais j’ai peur qu’il ne dérive vers quelque chose de plus en plus ampoulé ou chiant… Enfin, on verra bien. Je ne vois pas en lui un génie mais pour l’instant, il me reste sympathique et certains morceaux sont quand même très très réussis.