Ailleurs de brume
It’s Immaterial Life’s hard and then you die (1986, A & M / Virgin)
It’s Immaterial éclot au tout début des années 1980 sur les cendres anonymes d’une obscure formation de Liverpool, The Yachts. Après quelques singles, le line-up du groupe s’établit finalement sous la forme d’un duo regroupant John Campbell et Jarvis Whitehead, deux natifs de Manchester venus s’installer à l’origine pour leurs études dans la grande cité rivale.
Repéré d’abord par Warner puis par une sous-division de Virgin, It’s Immaterial publie finalement ce premier album en 1986, lesté de ce titre implacable et pour le moins glaçant, et serti d’une pochette figurant un portrait déformé de clown qu’on croirait droit sorti d’une toile de James Ensor. Prévenons pourtant tout jugement hâtif : si ce disque baigne indéniablement dans une atmosphère mélancolique, on n’y entendra pas pour autant un long lamento désespéré brassant du noir à n’en plus finir, une musique hérissée de tessons de verre et charriant des tombereaux d’effluves morbides. Life’s hard and then you die affiche au contraire une palette bien plus fournie, brillant par son éclectisme et sa singularité. Difficile en effet de rattacher ces morceaux à un genre particulier, le groupe prenant un malin plaisir à naviguer entre new-wave, pop synthétique, réminiscences folk et rythmes latins. Ce flou générique, cette indétermination confinant à une sorte d’onirisme nomade pourraient bien d’ailleurs constituer l’identité du duo et lui confèrent une bonne part de son charme.
It’s Immaterial semble en permanence hanté par un ailleurs qu’il ne ferait qu’entrevoir – ou bien qu’imaginer (rêver?). Ailleurs géographique sur Driving away from home (Jim’s tune) – titre introductif qui vaudra au duo un succès d’estime en Angleterre – ou ailleurs émotionnel ; ailleurs musical bien entendu et l’album ne cesse de recevoir des airs d’autre part, sud-américains ou arabo-hispaniques. Ces visions d’Amérique latine depuis les brumes de la côte anglaise rapprochent It’s Immaterial de quelques uns de ses contemporains (fort différents par ailleurs), Pale Fountains ou Everything But The Girl en tête. C’est peut-être cette brume qui vient du reste recouvrir la quasi totalité des morceaux et qui leur confère leur belle patine mélancolique, et qui fait que les titres les plus festifs (Ed’s funky diner ou Festival time) semblent davantage hantés par des fantômes que par de joyeux noceurs.
Pour toutes ces raisons, Life’s hard and then you die mérite mieux que l’anonymat qui a recouvert le groupe, malgré quelques morceaux inégaux. On se complaît aujourd’hui encore à contempler le doux ressac de The better idea ou le lyrisme quasi tragique de Happy talk. Le disque, malgré une certaine reconnaissance critique ne reçut qu’un bien maigre écho public, essentiellement lié au single Driving away from home (repris d’ailleurs il y a un an ou deux par la Française La Fiancée). It’s Immaterial reviendra quatre ans plus tard avec Song, que je viens juste de découvrir et qui me semble encore supérieur à ce premier opus. J’aurai certainement l’occasion de vous en dire plus prochainement…