Les joueurs
Cake Fashion nugget (1996, Capricorn)
La fin du monde approche alors autant rire un peu, infuser dans nos oreilles un disque savamment rafraîchissant, en un mot se payer une bonne tranche de Cake (oui, je sais, mais je pouvais pas résister).
Cake sort du four au début des années 1990 en Californie, à Sacramento plus précisément, suite à la rencontre de John McCrea (singer-songwriter et guitariste), Greg Brown (guitariste) et Vince di Fiori (trompettiste). Les trois musiciens s’adjoignent une section rythmique et font paraître un premier single en 1993, Rock ‘n’ roll lifestyle, à diffusion confidentielle. Un premier album suit en 1994, Motorcade of generosity, qui reçoit quelques louanges d’une partie avertie de la critique musicale. C’est cependant avec ce deuxième album paru en 1996 que le groupe va exploser à la face du monde, écoulant plus d’un million d’exemplaires dans la foulée du succès des tubes The distance et I will survive.
They laugh, they make money / He’s got a gold watch / She’s got a silk dress / And healthy breasts / That bounce on his Italian leather sofa
Italian leather sofa
Fashion nugget constitue un épatant melting-pot, mélange joyeux et inventif de toutes les influences de John McCrea et ses acolytes. Entre musique mariachi, country, rockabilly, pop-rock et hip-hop, l’ « éclectisme par défaut » (pour reprendre une expression de McCrea lui-même) de Cake produit ici un objet étonnant et roboratif. Pour résumer, la musique de Cake sonne un peu comme la rencontre entre Beck et Calexico sous le soleil de Californie.
All day I wait and wait / To here her footsteps on my walkway / She never came / She never even called / She’ll come back to me
She’ll come back to me
Dès le premier morceau du disque, l’imparable Frank Sinatra, on peut se délecter des ingrédients qui font toute la saveur de Cake : une rythmique alerte à la dynamique élastique, des guitares précises et élégantes, et surtout, cerises sur le gâteau, le chant traînant et narquois de John McCrea et cette trompette en liberté, qui divague en arrière-plan puis s’invite avec classe au premier rang, imprimant cette touche d’exotisme cossard qui fait le charme du disque. Au fil de ces quatorze morceaux, Cake traverse différents univers musicaux en conservant cette fantaisie stylée, cet esprit joueur qui lui fait aborder comme un enfant chaque partie (au sens ludique du terme) avec le même sérieux amusé. Cake joue ainsi du hip-hop déglingué à la Beck (The distance ou Nugget), de la country sur une reprise impeccable de Willie Nelson (Sad songs and waltzes), du rockabilly sur le frénétique Stickshifts and safety belts. Et si Cake use finement de l’ironie et de la distanciation, il sait aussi se faire émouvant comme sur l’excellente ballade She’ll come back to me. L’art du jeu du groupe se révèle enfin surtout dans son indéniable talent pour les reprises, cette façon de s’approprier les chansons des autres et de les retailler à sa mesure. Outre le titre de Willie Nelson précité, Cake livre ainsi une version toute de moelleuse nonchalance du standard Perhaps perhaps perhaps et surtout une version superlative du hit disco de Gloria Gaynor I will survive, drôle et touchante à la fois, bien plus exaltante en tous cas que les pauvres remix qui fleurirent après la Coupe du monde de 1998.
It’s a good thing that I’m not a star / You don’t know how lucky you are / Though my record may say it / No one will play it / Sad songs and waltzes aren’t selling this year
Sad songs and waltzes
Avec Fashion nugget, Cake offre un disque léger sans être inconsistant, ne se prenant pas au sérieux et le revendiquant avec talent. J’avoue ne pas avoir suivi la carrière ultérieure du groupe puisque je ne connais encore aucun de ses quatre albums suivants, de Prolonging the magic (1998) à Showroom of compassion (2011). Apparemment, le groupe a connu davantage de succès aux USA qu’en France.