L’eau vive
Badly Drawn Boy The hour of bewilderbeast (2000, Twisted Nerve)
Damon Gough, jeune Mancunien à l’allure de slacker (bonnet et barbe de trois jours en permanence) , commence à enregistrer sous le nom de Badly Drawn Boy à la fin des années 1990. D’EP en EP, il se taille peu à peu une petite réputation qui le porte sur le devant de la scène anglaise avec la parution du génial single Once around the block en 1999, suivi de ce premier album en 2000.
Badly Drawn Boy fait de la pop, mais une pop qui ne sent pas le réchauffé et ne vient pas réciter scolairement les leçons fastidieusement apprises dans les vieux manuels des sixties britanniques. Gough livre au contraire un album aérien et inventif, retenant de ses aînés l’évidence des mélodies et la légèreté du geste. A la fois branleur (voix mal réveillée, quelques rogatons de chansons jetés ici et là) et d’une folle ambition, cet étonnant fourre-tout de 18 pistes, parfois difficiles à suivre, révèle un songwriter d’envergure, capable en outre de jouer sans ciller d’une demie-douzaine d’instruments.
Le disque s’ouvre sur une aurore somptueuse, avec la remarquable pièce pour violoncelle et trompette The shining, et l’on sent en effet les rayons du soleil chauffer notre épiderme comme un matin d’été. A la suite, Gough prend l’auditeur à contre-pied avec l’électrique bain à remous d’Everybody’s stalking. Tout au long de l’album, Badly Drawn Boy alterne mélodies entraînantes et tempos plus lents, le tout baignant dans un mélange subtil d’euphorie et de mélancolie. Malgré quelques moments faibles, le disque propose suffisamment d’excellentes choses pour faire notre bonheur. Ainsi, d’abord le fantastique Once around the block, courant comme un ruisseau que les enfants poursuivent (merci Guy Béart), morceau magique d’inspiration jazzy à l’agilité sidérante. On s’arrêtera également fasciné devant les ressacs troublants de Camping next to water, dans lequel Gough se peint en amoureux en crise se mettant au vert pour faire le point, produisant ce mélange séduisant de sérénité et d’inquiétude. Sur le versant énergique du disque, on mentionnera le roboratif Disillusion ou le tellurique Cause a rockslide. Dans un style plus mélancolique, difficile de passer à côté du superbe Pissing in the wind ou du bien-nommé Magic in the air, ballade au piano enchantée, fixant la joie et l’effroi incrédules qui président aux débuts d’une histoire d’amour.
Belle réussite donc pour un premier album mais j’avoue avoir peu à peu perdu la trace de mister Gough, qui semble lui-même s’être quelque peu retiré du jeu. En 2002, Badly Drawn Boy réalise à la fois la bande originale (réussie) du film About a boy tiré du bouquin de Nick Hornby et un nouvel album plus poussif intitulé Have you fed the fish. Deux albums sont parus depuis que je ne connais pas et qui sont passés relativement inaperçus, One plus one is one en 2004 et Born in the UK en 2006.