Combustion lente
Junip Junip (2013, City Slang)
Junip se forme en 1998 quand deux amis d’enfance passionnés de musique, José Gonzalez et Elias Araya, rencontrent le multi-instrumentiste Tobias Winterkorn. Les trois lascars n’ont guère d’ambition que de jouer de la musique ensemble et le groupe demeure d’abord pour eux un hobby, chacun étant par ailleurs fort occupé avec ses propres projets professionnels (Gonzalez par exemple menant de brillantes études de biochimie). C’est par Gonzalez que l’aventure va prendre un autre cours quand les compositions d’obédience folk du jeune homme le font repérer par un label qui publie en Suède son premier album, Veneer (2003). L’album est un succès au pays et s’exporte en 2005 en Angleterre et aux USA. Les choses vont franchement s’accélérer pour Gonzalez quand sa reprise de Heartbeats du groupe The Knife est utilisé par Sony pour une publicité, dans laquelle des milliers de boules multicolores dévalent les rues de San Francisco au son de la musique somptueuse du Suédois. Le monde entier se demande qui chante et les chiffres de vente du monsieur croissent en proportion. José Gonzalez fait paraître un deuxième – et fantastique – album en 2007, In our nature sur lequel il faudra que je revienne ici un de ces jours.
It’s your life, your call / Stand up or enjoy your fall
Your life, your call
Et Junip dans tout ça ? Gonzalez trouve finalement du temps à lui consacrer et le trio enregistre un premier album en 2010 (douze ans après sa formation !), le dénommé Fields, que je n’avais pas écouté jusqu’à tout récemment et qui se révèle ma foi d’excellente facture. Mais mon propos portera aujourd’hui sur ce deuxième opus éponyme paru l’an dernier et qui vaut bien le coup qu’on y jette une oreille, et même les deux.
We’ll all walking lightly / Let this moment last / Could be gone so fast
Walking lightly
Musicalement, Junip évolue assez loin du folk sublime et sauvage joué par José Gonzalez en solo. Et si on retrouve le jeu de guitare tout en subtilité du musicien ainsi que la douce suavité un brin éraillée de son chant, Junip évolue dans un registre résolument plus pop, mais une pop joliment mutante, aux oreilles grandes ouvertes sur le monde et sur d’autres musiques. Le trio avouera par exemple avoir beaucoup écouté de musique africaine – notamment le blues touareg de Tinariwen – durant l’enregistrement du disque et ces réminiscences se retrouvent sur plusieurs titres de l’album, en premier lieu le génial Walking lightly, sorte de psalmodie rayonnante qui porte à la transe et procure au final de bien beaux vertiges ascensionnels. Au fil des dix chansons qui compose Junip, Junip apporte d’autres ingrédients pour relever le parfum de sa musique : on retrouve ainsi là des gris-gris électro, ici des rugosités électriques enveloppées dans des nappes de clavier, ailleurs de déroutants chausses-trappes sonores (Villain). Et l’on pense fréquemment à d’autres francs-tireurs pop-rock, du folk-rock chahuté d’un Joseph Arthur à la pop atmosphérique de Broken Bells.
What would you say / If you had to leave today / Leave everything behind / Even though for once you’re shining
Line of fire
Malgré quelques (menues) faiblesses (les moins convaincants Baton ou Beginnings), on trouve sur Junip une poignée de chansons de première classe, à la beauté farouche et iconoclaste. On recommandera ainsi l’écoute assidue du formidable Line of fire, qui combine parfaitement combustion et élévation pour ouvrir le disque de la plus belle des façons. Le groupe excelle dans ces morceaux à combustion lente, qui creusent leur sillon avec une belle opiniâtreté pour s’imprimer dans le cortex de l’auditeur et proprement le travailler au corps au gré des humeurs changeantes de leurs auteurs. On passera ainsi de la sérénité entraînante de Your life your call à l’intranquillité ombrageuse de So clear, de la beauté rêveuse de Suddenly à la lenteur étale de After all is said and done.
Once you felt you found a way / Left your old ambitions by the lake bed
After all is said and done
“If it’s alright with you, then it’s alright with me” chante José Gonzalez sur So clear : tout va bien pour nous, on le remercie et on relance une écoute.
1 réponse
[…] Gonzalez dans ces colonnes il y a de cela sept ans afin de célébrer les nombreuses qualités du deuxième album de Junip, le groupe mené en parallèle par le Suédois avec ses compères Elias Araya et Tobias Winterkorn. […]