Maria’s little elbows par Sparklehorse, sur l’album Good morning spider (1998, Parlophone)
Merveilleux disque de rémission, Good morning spider était aussi l’album de la confirmation pour le génial – et regretté – Mark Linkous, trois ans après un premier LP impressionnant. Comme toute l’œuvre de l’Américain, Good morning spider alterne rêveries lumineuses et coups de tabac, beautés délicates et déferlantes électriques. Maria’s little elbows relève de la première catégorie et démontrait, s’il en était besoin, les talents d’orfèvre du natif de Virginie.
Dans les meilleures chansons de Mark Linkous, la douleur semble toujours côtoyer une forme d’éblouissement, comme si la contemplation de la beauté des choses servait de dérivatif à la peine d’être au monde. Une manière de combat feutré se livre ainsi dans ces morceaux, où la lumière s’efforce en permanence de tenir la noirceur sous le boisseau. C’est pourquoi les chansons les plus douces de Sparklehorse apparaissent aussi fascinantes, tant leur surface apaisée paraît recouvrir une agitation incessante. Vous connaissez peut-être le kintsugi, cette méthode japonaise consistant à réparer les porcelaines ou céramiques brisées en recouvrant leurs brisures d’une laque dorée. Il y a de ça chez Sparklehorse, cette façon de sublimer les fêlures qui rend ses disques aussi attachants.
Maria’s little elbows déroule ainsi sur un peu plus de quatre minutes cette douceur douloureuse qui n’a pas fini de nous tournebouler. Il y a cette acoustique à la pureté parfaite qui ouvre la chanson, ces mélodies qui émulsionnent et harmonisent pour faire décoller l’ensemble. Il y a cette voix pétrie de fragilités, ce filet légèrement éraflé qui flotte au-dessus de la mélodie. Il y a ces mots qui percuteront sans doute toutes celles et ceux qui ont déjà ressenti la solitude : Loneliness keeps knocking at my door ou Sometimes you feel you’ve got the emptiest arms in the whole world / Trying to make sense but it always comes out absurd. Il y a même cette référence au Candy says du Velvet Underground qui dessine comme une fraternité d’âme. A 3’30 environ, Mark Linkous envoie sa chanson définitivement dans les étoiles avec un glissando de guitare électrique doublé d’un tch tch de maracas qui semble venir frotter directement la lampe de notre petit cœur sensible. Aucun génie n’en sortira, mais peut-être quelque chose comme une élévation, et certains jours quelques larmes.
On recroisera Mark Linkous et Sparklehorse plus loin dans cette sélection. Et on ne cessera de regretter sa tragique disparition, un triste jour de mars 2010. La noirceur aura fini par l’emporter.