11/250. Holes

Holes par Mercury Rev, sur l’album Deserter’s songs (1998, V2 Records)

Au vu de l’évolution des modalités d’écoute musicale, j’ignore si beaucoup d’auditeurs et d’auditrices prêtent encore attention aux chansons d’ouverture, ces morceaux qui introduisent les albums et vous donnent envie de connaître la suite. Certains vous font de fausses promesses et vous laissent entrevoir la lune, alors qu’ils présagent de vols sans frissons n’excédant pas le rase-mottes. D’autres, au contraire, ne sont qu’entames ratées qu’il faut savoir dépasser pour mieux apprécier ce qu’elles auraient pu nous cacher. Parfois, tout est au diapason et un très grand disque s’ouvre par une très grande chanson. Holes est une très grande chanson, Deserter’s songs est un chef-d’œuvre.

Construite en un fabuleux crescendo, Holes semble s’illuminer peu à peu, alors que se déploie dans un doux balancement la foisonnante instrumentation dans laquelle le morceau est taillé. Chanson d’aube sur la montagne, de conquête des sommets, Holes révèle un somptueux panorama qui procure au final un incroyable sentiment de plénitude. On aime ces chansons en forme d’accomplissement, qui semblent saisir ces rares moments où tout semble possible et tout paraît compris, comme si le chemin parcouru jusqu’à lors menait forcément à cet endroit exact. Tout est à sa juste place et nous au milieu, le regard embrassant l’horizon. L’impression est souvent fugace mais n’en demeure pas moins bouleversante.

Effusions mystico-lyriques mises à part, Holes est une chanson superlative, une rêverie hallucinée et hallucinante située quelque part au croisement entre les envolées psychédéliques de Pink Floyd et les bandes originales des films de Disney. Cordes et vents composent un tableau avec le ciel, faisant tour à tour moutonner les nuages et souffler la tempête. Le groupe laisse libre cours à une orchestration audacieuse mais parfaitement maîtrisée où theremin, piano, cordes, flûtes et guitares se déploient et s’accordent avec une grâce parfaite. Et, par-dessus, la voix d’enfant perdu de Jonathan Donahue apporte ce qu’il faut de candeur et de mélancolie douloureuse pour faire chavirer nos petits cœurs fragiles. Les paroles restent résolument cryptiques et nombre de fans ont cherché à savoir à quoi pouvaient bien se référer ces trous, certains allant jusqu’à évoquer les piqûres laissées sur les bras des héroïnomanes. Comme dans un rêve, chacun pourra l’interpréter comme il le souhaite, la chanson laissant son lot d’images marquantes résolument incrustées dans nos cerveaux, de la « big blue open sea that can’t be crossed » à ces « angry jealous spies » avec leurs « telephones for eyes« . Et on n’oubliera pas évidemment la dernière phrase de la chanson, en forme de constat définitif sur la condition des groupes de rock : Bands, those funny little plans, that never work quite right.

Rêverie éveillée, voyage mental, fragment de beauté, Holes est tout cela à la fois. Des trous qui nous aspirent, des percées qui laissent entrer la lumière, des béances à combler sans cesse. Décidément, me voilà bien lyrique, retenez juste que Holes est une sacrée chanson, et que le reste de l’album vaut cent fois le détour. En plus de la version originale, je vous recommande aussi cette version acoustique belle à pleurer.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *