12/250. Two wrongs won’t make things right

Two wrongs won’t make things right par Tarnation sur l’album Gentle creatures (1995, 4AD)

Au mitan des années 1990, une génération de musiciens américains allait donner une salutaire cure de jouvence à la country et faire découvrir à toute une génération d’auditeurs et d’auditrices énamourés les fascinantes beautés d’un genre trop souvent caricaturé. Nombre d’artistes de cette scène hâtivement regroupée sous l’étiquette d’alternative country se retrouveront au fil de cette rubrique. Si d’autres ont laissé une trace autrement durable dans le paysage musical contemporain et dans mon Panthéon personnel (de Will Oldham à Bill Callahan), Tarnation – rejeton redneck de la scène de San Francisco – réussit à marquer nos esprits par la grâce d’une poignée de chansons formidables, le temps de trois albums parus entre 1993 et 1997, avec ce Gentle creatures comme indéniable sommet.

Au cœur de ce recueil d’airs tourmentés, emplis de secrets boueux et d’inquiétants fantômes, le groupe place cette merveille de ballade déchirée et déchirante, évoquant aussi bien le décor rural de certains romans de Joyce Carol Oates que le lyrisme bouleversant de Roy Orbison. Avec ce slow perclus de larmes, le groupe nous transporte dans un saloon déserté, à l’heure où les clients ont quitté la salle et où le juke-box passe encore quelques airs tristes pour la fille qui pleure dans un coin, en faisant la plonge ou en débarrassant les tables. Complainte pour un amour perdu, Two wrongs… déploie son lent balancement au fur et à mesure que la voix de sirène de Paula Frazer, aussi hypnotique que vertigineuse, se remémore son amour perdu. On remarquera qu’ici, c’est la fille qui est partie, abandonnant son amant sans un mot d’au revoir pour s’épargner trop d’illusions face à la fatalité de la défaite. C’est l’impossibilité d’une île que raconte cette chanson, les espoirs interdits et l’avenir comme un cul-de-sac. Reste alors le souvenir des instants gagnés sur le malheur, souvenir dont on ne sait s’il nous blesse ou nous console : Someday we’ll remember / This chance we once had / To make things right.

Le chant de Paula Frazer – avec son drôle de maniérisme impur – trace des lignes de fuite à partir d’une mélodie qui tourne en rond, comme on regarderait un point fixe sur un manège pour se prémunir du vertige. Et au milieu du morceau, un pont instrumental à la lenteur cotonneuse ravive la mémoire des meilleurs moments des Trinity sessions des Cowboy Junkies. Au final, cette chanson impose une forme d’évidence sans fard, un romantisme blessé qui peut paraître rebattu mais qui raconte encore et toujours la même histoire : l’amour perdu, le bonheur échappé, la solitude de la nuit et les souvenirs auxquels on s’accroche. C’est très simple et c’est très compliqué et parfois, c’est très beau.

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