7/250. Country feedback

Country feedback de R.E.M., sur l’album Out of time (1991, Warner)

R.E.M. - Out of time

Mes fidèles lecteurs et lectrices connaissent l’affection que je porte à R.E.M. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ici la place particulière occupée par Out of time dans mon histoire musicale, un des premiers albums à figurer dans ma discothèque et, de ce fait, un disque qui m’accompagne depuis maintenant plus de trente ans. Out of time donc, disque mi-figue mi-raisin par rapport au reste de la discographie du groupe, mais disque qui marqua l’explosion aux yeux du grand public de ces figures de l’indie-rock US, qui trouvaient là une reconnaissance inespérée après plus de 10 ans d’une carrière sans faux pas.

Adolescent vaguement mélomane, et surtout boulimique des tubes radio, je cédai comme des millions d’autres à l’imparable mystère de Losing my religion, chanson exemplaire sur laquelle je reviendrai dans ces pages. Mais, à 16 ans déjà, Country feedback brillait tel un diamant noir, une beauté proprement inouïe pour mes oreilles baignées du tout-venant des hit-parades. Des milliers de chansons plus tard, Country feedback n’a rien perdu de son éclat, bien au contraire, s’affirmant à mon goût comme un des titres les plus poignants d’une discographie qui n’en manque pas.

Le titre annonce clairement la couleur : on y trouvera de la country et du feedback. C’est sans doute la première fois que j’eus l’occasion d’entendre de la pedal-steel et c’est peut-être de là que me vient mon attachement à ce son traînassant, qui pleure ou qui flemmarde selon qui l’utilise. En même temps, le titre ne dit rien de ce morceau, rien de cette sensation de trouble et de désorientation, cette sorte d’égarement circulaire qui semble habiter Michael Stipe et tordre le ventre de l’auditeur. Country feedback est une chanson claustrophobe, qui se joue dans les plis du cerveau de son interprète. On peut facilement se représenter un Stipe isolé dans sa chambre, tordant ses doigts, faisant les cent pas et exprimant toutes les visions qui lui traversent l’esprit. Lui-même indiquera que, comme souvent, les paroles furent écrites comme un flux de conscience (stream of consciousness), donnant à voir les éléments épars d’une pensée en proie à des émotions visiblement saisissantes. La répétition presque obsessive de plusieurs phrases renforce l’impression d’une forme de désarroi un peu décousu. On peut y entendre des allusions à une relation compliquée, et on a pu au fil du temps en saisir des bribes bouleversantes : It’s crazy what you could’ve had / I need this ou I was central, I had control, I lost my head. On n’est pas sûr de tout comprendre mais on y devine douleur et anxiété, l’accompagnement musical paraissant lui-même ployer sous le poids de ces sentiments trop lourds. Tout s’écroule et seule la voix de Stipe tente encore de se tenir debout. Country feedback donne ainsi à entendre un interprète majuscule, le chant de Michael Stipe atteignant des sommets d’expressivité à fendre la pierre.

Le mélange d’électrique et d’acoustique semble recouvrir la chanson d’un halo de lumière intermittente, de celle que déversent les néons des centre-villes dans des appartements solitaires. Le tour de force de Country feedback est bien de nous projeter dans ce décor déserté, d’en faire la traduction de nos espaces mentaux les plus désolés. Groupe majeur de ces années-là, R.E.M. reviendra évidemment à plusieurs reprises dans cette sélection.

5 commentaires sur « 7/250. Country feedback »

  1. Je découvre avec enthousiasme, et surtout par hasard, ce site, et je retrouve tellement d’albums qui ont enchanté ma jeunesse inrockuptible (et autre). Petits retours en arrière très agréables que je salue chaleureusement.
    David

    1. Merci beaucoup pour ces quelques mots qui font toujours plaisir. Ravi de partager ces goûts en commun et en espérant vous faire aussi découvrir des choses.

      1. Je me suis remis à réécouter ces temps-ci Mark Eitzel (magnifique songwriter américain un peu trop sous-estimé par la critique), dont les premiers American Music Club. Je me suis rendu compte que je ne connaissais que la moitié à peu près de son oeuvre musicale, auriez-vous quelques albums à me conseiller ? Au plaisir de vous lire.

        1. Je suis loin de connaître l’intégralité de sa discographie mais je recommanderai forcément « 60 watt silver lining », vraiment superbe. « Don’t be a stranger » est aussi un très beau disque. Mais il y en a beaucoup que je n’ai pas écouté.

  2. Merci ! « 60 watt » fait bien sûr partie de mes disques de chevet, depuis longtemps… je réécoute actuellement West que je vous recommande chaudement…

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