Nude as the news de Cat Power, sur l’album What would the community think (1996, Matador)
Je n’ai jamais oublié la première fois que j’ai écouté Nude as the news, écoute qui marquait du même coup ma découverte de Chan Marshall aka Cat Power. C’était une compil’ des Inrocks, je crois la première reçue au début de mon premier abonnement, et ce titre sauvage semblait brûler tout ce qui l’entourait. Au milieu d’une sélection pourtant de belle tenue (Un automne 96, avec, entre autres, Vic Chesnutt, Eels, Diabologum et Red House Painters), Nude as the news résonnait tel un imposant coup de semonce, une de ces chansons qui imposent le silence et laissent derrière elles un paysage consumé.
Je ne connaissais rien de l’Américaine, je ne saisissais pas bien ce qu’elle pouvait raconter à cause de mon anglais plus bancal qu’aujourd’hui mais je pouvais percevoir que la jeune femme semblait déjà charrier avec elle de bien lourds bagages. Flanqué de deux acolytes – dont Steve Shelley de Sonic Youth derrière les fûts – Chan Marshall jouait ici une musique sans filtre, sa guitare directement branchée sur des fêlures larges comme des crevasses. Mes petites failles intérieures d’étudiant mal dégrossi me semblaient d’un coup bien futiles et il n’y avait qu’à écouter, se taire et écouter.
Sans esbroufe, avec une économie de moyens brute et belle, Nude as the news exhale un souffle de tempête. Une guitare butée ressasse la même suite d’accords comme on gratterait ses plaies, la batterie tient la barre avec opiniâtreté, un riff surgi de-ci de-là comme un éclair zébrant le ciel et par-dessus tout cela, Chan Marshall chante et sa voix porte à nous décoiffer. Le morceau semble rassembler tout du long une énergie furieuse qui finalement s’abat dans le final mais jamais Cat Power ne paraît perdre le contrôle, statue fulminante campée dans l’œil du cyclone.
J’ai mis longtemps à comprendre que Cat Power évoquait un avortement et qu’elle ne garderait pas le « son in me » qu’elle mentionne à chaque refrain. Il faut dire que la jeune femme alterne entre le littéral et l’elliptique, entre ce « Jackson, Jesse, I’ve got your son in me » et ces images mentales menaçantes qui parsèment la chanson et intriguent. Qui est ce « très grand homme » qui attend dans la « lumière froide » ? Qui sont les « beaux gosses » (cute ones) qu’elle veut cramer avec son lance-flammes (flame gun) ? Nude as the news est une immense chanson tourmentée, à la violence désarmante que certains pourront trouver inconfortables, tant Chan Marshall s’expose crûment aux yeux du monde. Tout n’allait pas très bien dans sa vie d’alors, tout n’irait pas toujours très bien dans les années qui suivirent.
Avec Nude as the news puis l’album What would the community think et la suite (et quelle suite !), on avait trouvé une compagne précieuse, dont la musique sut recueillir nos blessures intimes autant qu’elle lui permettait de déverser les siennes, par la magie du pouvoir consolateur des chansons tristes. On retrouvera d’autres chansons de Cat Power dans cette sélection.