There she goes des La’s, sur l’album The La’s (1990, Go! Discs)
Les puristes l’auront remarqué : aujourd’hui, je triche un peu. Techniquement, There she goes, éclatant single des Liverpudliens de The La’s, fût d’abord publié en 1988, avec Bob Andrew à la production, sans franchir le cap du succès d’estime dans les charts anglais. L’enregistrement du premier – et unique – album du groupe fût particulièrement chaotique, l’exigeant Lee Mavers usant une demi-douzaine de producteurs dont le travail ne trouvait jamais grâce à ses yeux. Lassé de ces tergiversations, le label finit par faire paraître les versions issues des sessions menées par Steve Lillywhite, à la fureur de Lee Mavers qui renia l’album dès sa sortie. La réussite était pourtant totale et le disque demeure encore aujourd’hui un joyau de pop anglaise foisonnant de richesse mélodique, que le troupeau de la brit-pop qui déferlera un peu plus tard sur la scène pop-rock ne parviendra jamais à égaler. C’est finalement cette version qui permit au groupe de décrocher, sinon un tube, du moins un succès commercial plus conséquent.
J’aime quand les chansons ont quelque chose d’aquatique. J’aime quand elles s’écoulent comme un fleuve, qu’elles dévalent comme un torrent, qu’elles remuent comme l’océan ou qu’elles revêtent la forme étale des eaux stagnantes. J’aime aussi les chansons de pluie et There she goes reste pour moi une fantastique chanson d’averse, dont la mélodie tombée du ciel vous rince comme une divine saucée. De ces guitares carillonnantes, de cette basse élastique, et du chant étranglé de Lee Mavers émane une forme d’euphorie douloureuse, de joie brûlante qui ne masque qu’imparfaitement de profondes fêlures. Qu’elle traite d’addiction à l’héroïne (ce que Mavers démentira, arguant que son expérience avec la drogue fût postérieure à l’écriture du morceau) ou d’un amour corrosif, l’extase qui se dégage de l’ensemble s’accompagne du manque ou de la peur du manque, le morceau charriant du même coup la joie et la conscience de sa fin prochaine, l’ivresse du jour et l’angoisse du lendemain.
Dépourvue de couplets à proprement parler, There she goes figure aussi par sa brièveté (un peu plus de 2’30) une forme de perfection pop, illustrant cet idéal de dire beaucoup avec une simplicité limpide. Avec sa mélodie accrocheuse à souhait qu’on peut reprendre en chœur et siffler sous la douche, son texte qui se résume à 2 ou 3 lignes répétées ad libitum, et sa part de ténèbres perceptibles derrière ses atours cristallins, There she goes claque comme un évidence, un petit miracle tourbillonnant sortie de la tête et du cœur d’un petit gars de Liverpool avec de l’or dans les mains. L’aura mythique qui entoure Lee Mavers, reclus pendant des années avant quelques reformations pour des concerts dans les années 2010, son immense influence sur quelques fines (et moins fines) plumes du rock anglais (Libertines, Oasis, Charlatans, et bien d’autres), tout cela renforce encore la portée de ce morceau à la grâce immaculée et d’un album bardé d’influences et pourtant résolument unique. De la pluie et des larmes, on en revient toujours aux histoires d’eau(x). On retrouvera probablement les La’s dans cette sélection un peu plus tard.