Harvest moon par Neil Young, sur l’album Harvest moon (1992, Reprise)
Entre canicule et autres occupations, j’avoue avoir un peu de mal à remonter le fil de cette sélection spéciale années 1990 aussi régulièrement que je le souhaiterais. Mais, après tout, qu’est-ce qui presse ? La lenteur est souvent de très agréable compagnie.
Il sera justement question, ce soir, de douceur et de sérénité. Il sera question de prendre le temps, de profiter de la tiédeur d’une nuit d’été, de regarder briller la lune et de s’accorder encore une danse, au bras de la personne qu’on aime et avec laquelle on ne voudra rien d’autre que passer une soirée de plus. Parmi les innombrables merveilles qui parsèment la discographie de Neil Young, au fil d’une carrière d’une fascinante prodigalité, Harvest moon occupe une place de choix, joyau tranquille à l’absolue délicatesse dont on ne se lassera probablement jamais. Sur Harvest moon, l’album, Neil Young, alors porté aux nues par le mouvement grunge pour sa propension à déclencher des orages électriques, choisit une fois de plus le contre-pied pour revenir à son versant acoustique, donnant une forme de suite à son célébré Harvest paru vingt ans auparavant. La réussite sera totale et le morceau-titre de cet album impeccable brille d’un éclat plus intense encore.
Ce n’est pas facile d’être simple et beau, de toucher au cœur même des choses sans flonflons ni chichis, de trouver la note juste pour décrire une forme d’universelle évidence. Il y a des millions de chansons d’amour ratées, il y en a très peu qui ont su dépeindre avec autant de finesse l’amour qui dure, le cœur qui accélère encore, les yeux qui s’illuminent et le teint qui s’empourpre. Sur la base d’un riff de guitare chipé à un vieux morceau des Everly Brothers, Neil Young nous embarque dans un tournoiement nonchalant, une sorte d’ivresse émerveillée, et l’on imagine les lueurs des flambeaux, le parquet de la piste de danse et la robe qui toupille tandis que les mains se joignent sans hésitation. Tout coule de source dans cette chanson : la tendre souplesse de la guitare acoustique, le scintillement perlé de quelques accords électriques, la langueur de la steel-guitar, les chœurs enveloppants de Linda Ronstadt, le discret frottement des balais sur les peaux de la batterie. En à peine plus de cinq minutes qu’on n’aura pas vu passer, Neil Young interprète sa propre version du ridicule Amoureux de ma femme de Richard Anthony, capturant l’essence d’un moment parfait, la désarmante beauté d’un instant de communion. La vie peut être drôlement belle.
Harvest moon apparaît aujourd’hui comme un classique du Loner et a été depuis reprise par des artistes aussi différents que Jane Birkin, Cassandra Wilson, Bebel Gilberto ou Widowspeak. Le bonhomme s’étant montré particulièrement inspiré pendant la décennie 1990, on reverra probablement Neil Young au fil de cette sélection.