13/250. Sorrow’s child

Sorrow’s child par Nick Cave & the Bad Seeds sur l’album The good son (1990, Mute Records)

C’est Dominique A qui, en plusieurs occasions, a indiqué qu’il aimait bien que la musique dégage une forme de gravité, de componction, et qu’il regrettait par là-même l’obligation de légèreté qui s’imposerait aux musiques populaires. J’approuve des deux mains cette opinion du plus précieux dégarni de la chanson d’ici, tant la gravité peut être souvent, à tort, confondue avec la lourdeur, alors qu’elle peut au contraire mener vers une forme d’élévation.

C’est bien cette forme de gravité qu’on retrouve dans ce morceau extrait d’un album baignant tout entier dans une atmosphère peu propice à la gaudriole, mais qui demeure un des hauts faits de la riche discographie de l’Australien. Ballade menée par une phrase de piano qui n’a pas fini de percoler notre petit cœur fragile, Sorrow’s child est sans doute le point culminant de ce disque splendide. Les regrets du titre sont partout mais plutôt que de s’enliser dans un marais poisseux, le morceau largue les amarres et s’élance résolument vers l’horizon, laissant derrière lui ce qui ne peut plus être changé, charriant dans son sillage une éternelle nostalgie. Au fur et à mesure que la chanson semble réellement s’éloigner sur les flots, une drapée de cordes vient magnifiquement lui souffler dans les voiles, lui conférant une élégance marine peu commune. Et on se dit alors que l’espoir qui s’éteint de ce côté-ci de l’océan pourrait peut-être reparaître là-bas, ailleurs, dans l’au-delà qui sait ? « Sorrow’s child steps in the water / Sorrow’s child you follow after / Sorrow’s child wades in deeper / Sorrow’s child invites you under » : la traversée pourrait tout aussi bien mener à la noyade, l’inévitable naufrage guetter devant la proue.

La phrase de piano qui se répète ad libitum pour conclure le morceau est sans doute une des plus belles choses sorties des mains de Nick Cave. Sans rien connaître à la technique de l’instrument – l’amateur mélomane n’est pas musicien -, je trouve que se dégage de cette suite d’accords ce mélange d’élévation et de recueillement qu’évoquait Dominique A, cette façon d’aborder de front avec ce qu’il faut de doigté des sentiments graves, d’oser une forme de solennité jamais pompière. Le chœur des Bad Seeds résonne comme un chœur antique, désignant à l’auditeur la singularité de cet « enfant du regret », accompagnant d’un murmure répété son odyssée. Et les cordes se déploient avec ce qu’il faut de force et d’élégance, ouvrant une voie royale aux ballades grandioses des Tindersticks, pour un final en majesté.

On retrouvera fort probablement d’autres titres de Nick Cave dans cette sélection. Et d’ici là, on recommandera bien sûr l’écoute intégrale de The good son.

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