1 année, 10 albums : 2010

Quittons un instant les années 1990 pour reprendre mes sélections annuelles là où nous les avions laissées, à savoir à l’orée des années 2010. J’éviterai de rentrer dans des considérations générales sur la place de ce millésime dans la longue histoire des musiques amplifiées ; à ma petite échelle, j’avoue avoir du mal à faire le tri parmi les albums publiés cette année-là que j’ai eu l’occasion d’écouter. Si trois disques se détachent, à mon sens, assez nettement du lot, une bonne douzaine d’impétrants pouvaient prétendre à quelques lignes dans ce billet (Beach Fossils ou même l’horrible Kanye West par exemple). On retrouvera dans ce top 10 une bonne moitié de figures établies, voire de vétérans, et une autre moitié de jeunes pousses qui se révélaient ou explosaient alors aux yeux du public et qui ont depuis gagné une reconnaissance plus affirmée (de Beach House à Bertrand Belin). Je constate que les seules Victoria Legrand (Beach House) et Régine Chassagne (Arcade Fire) assurent une – maigre – présence féminine, tandis que Bertrand Belin sauve avec brio l’honneur national. L’Amérique demeure triomphante, confirmant mon tropisme atlantique. On y trouve quand même moult belles choses, j’espère que vous en conviendrez.

Avec ce dixième album studio, le formidable Irlandais confirmait – s’il en était besoin – son statut de grand maître de la chose pop. Subtil et opulent, Bang goes the knighthood apparaît au final comme une des plus emballantes réussites de ce fidèle pourvoyeur de nos joies musicales.
Sur leur sixième album, les Black Keys atteignent à une forme d’acmé de leur formule musicale. Avec Danger Mouse en guise de troisième larron, le groupe reste fermement ancré sur sa base gorgée de blues électrique tout en ouvrant portes et fenêtres à d’autres styles, pour finalement parvenir à une efficacité mélodique inédite. Sorti de turbulences internes qui ont manqué lui couper les jambes, le groupe retrouve un nouveau souffle et décolle plusieurs pieds au-dessus de la concurrence.
Entre candeur éclatante et une forme de noirceur fiévreuse, le premier album d’Avi Buffalo demeure, quinze ans après, un sidérant recueil de chansons qui parvient à capter quelque chose comme un douloureux passage à l’âge adulte. Sublimes et noueuses, les morceaux de ce disque captivant ne cessent d’alterner entre euphorie et mélancolie, laissant en bouche le goût du sucre et de la sève.
Maniant des références essentielles (des Smiths à New Order) mais rebattues, les New Yorkais de Drums démontrent suffisamment de romantisme et de panache pour emporter le morceau et séduire nos petits coeurs fragiles. Si vous ajoutez un sens mélodique impeccable et un leader au charisme fragile et fier, vous obtenez un disque d’indie-pop aux petits oignons, dont on n’a toujours pas épuisé tous les charmes.
Avec Halcyon digest, le groupe de Bradford Cox livre une brillante collections de chansons flottantes, naviguant quelque part entre le rêve et la réalité, le drap troué du souvenir et l’incertitude des jours présents. Entre shoegaze et pop sixties, mélodies dépressives et accents bowi-esques, Halcyon digest est un disque d’une richesse fascinante, dont la matière cotonneuse semble se dérober sous nos doigts chaque fois qu’on pense la saisir.
Après deux albums prometteurs mais encore un peu verts, Bertrand Belin se révélait au monde avec les chansons terreuses et mystérieuses de ce disque aux reflets bruns et gris. Vous me permettrez un peu de paresse et d’auto-citation : « On pourrait parler de musique country au sens propre du mot, musique de la campagne dont elle prend les teintes et les odeurs. (...) On pourrait parler de blues aussi, tant il est partout présent mais au final, on ne saurait trop définir la pâte musicale que le garçon malaxe ici : pop grand format, folk maritime, chanson sans collier… ». On tenait là, à coup sûr, un nouveau compagnon pour traverser la vie.
Revenu des enfers (ou presque), le vétéran Gil Scott-Heron frappait un grand coup avec ce disque magistral, d’une stupéfiante beauté nue. Entre beats spectraux, acoustique décharnée et soul fantômatique, I’m new here démontre une pertinence intacte, à faire pâlir bien des jeunôts, et fait preuve d’une combativité sans illusion à l’âpreté bouleversante. Un chef-d’oeuvre.
S’éloignant de la perfection pop orchestrale de ses précédents opus, Sufjan Stevens embarquait l’auditeur pour une odyssée déroutante et fascinante, mêlant zébrures électroniques et envolées à couper le souffle. Comme si l’Américain délaissait la finesse figurative pour de chaotiques à-plats, le couteau suppléant le pinceau. Le résultat n’en demeure pas moins exceptionnel, un labyrinthe qu’on traverse entre effroi, hébétude et émerveillement. Quel homme !
Après quelques années de maturation, le groupe de Victoria Legrand et Alex Scally parvient ici à dissiper le brouillard qui entourait sa musique pour l’exposer en pleine lumière. D’une intensité insoupçonnée, les chansons de Beach House vont chercher du côté des implosions au ralenti d’un groupe comme Galaxie 500 ou des paysages électriques et vaporeux de Mazzy Star. L’album ressemble au final à un jardin en pleine floraison, un monde aux formes mouvantes qui croissent et se déplient avec majesté et poésie.
Après un Neon bible en clair-obscur, Arcade Fire revenait avec un troisième LP en forme de réussite totale. Entre l’épopée modeste du morceau-titre et les scintillements du génial Sprawl II, le groupe déroule une suite de chansons en majesté, intenses et racées, remplies d’impatiences, de désirs et de désillusions. Pensé comme un portrait de la vie en banlieue (nord-américaine), entre l’ennui du quotidien et l’espérance du lendemain (et réciproquement), The suburbs, s’éloigne du feu de joie de Funeral pour faire naître une flamme plus tamisée, mais pas moins brûlante.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *