Gold soundz de Pavement, sur l’album Crooked rain crooked rain (Matador, 1994)
Il fallait nécessairement commencer par elle, il fallait commencer par eux. Crooked rain crooked rain fût pour moi un disque décisif, un album pivot qui, s’il n’a pas vraiment ouvert les portes vers un monde musical inconnu (d’autres ont tourné la clé avant lui), a tracé des lignes de fuite droit vers un horizon grandiose. Le deuxième album de Pavement demeure encore aujourd’hui, trente ans après sa découverte, un précieux disque d’île déserte, de ceux dont je sais qu’ils m’accompagneront jusqu’au bout (« le plus tard possible » pour citer Thierry Roland).
Au milieu de ce disque scintillant de coolitude bordélique, Gold soundz brille d’un éclat plus vif encore et aligne tous les atouts dont on puisse rêver. D’une concision d’orfèvre (2’39 au chronomètre), le morceau est un concentré de fluidité mélodique et d’élégance indolente. Les guitares coulent de source tandis que le batteur paraît frapper ses fûts à peu près quand ça lui chante. J’aurai ainsi consacré quelques heures de ma vie à essayer de me caler sur sa rythmique bancale afin d’en apprécier au mieux les chausse-trapes et les voltiges. Le timbre de Stephen Malkmus fait merveille par sa nonchalance mélancolique et le groupe place au cœur de sa chanson un pont suspendu entre les cimes et les nuages, arc céleste à la pureté sans égale. Gold soundz réinvente à chaque écoute une architecture bien à lui, où les lignes ne tombent jamais droit, où les portes mènent sur le toit et où les fenêtres restent toujours ouvertes sans que le froid ne puisse pénétrer. Les paroles laissent libre cours à bien des interprétations et peuvent parler aussi bien de musique (« Go back to those gold soundz »), de la difficulté de trouver sa place sans se renier (« Because I never want to make you feel that you’re social ») que de chercher et trouver une âme sœur dans le chaos du monde (« You’re the kind of girl I like / Because you’re empty and I’m empty »). Elles restent fermement irrésolues et c’est très bien comme ça.
Je le confesse, j’ai souvent rêvé de ressembler à Gold soundz, d’être moi aussi aérien et insolite, décalé et lumineux, faire mine de tomber pour mieux décoller. J’espère avoir pu parfois m’en approcher, ce serait déjà beau. Elle m’aura quoi qu’il en soit procuré une source de bonheur inépuisable, 2’39 d’émerveillement répétables à l’infini. Il suffit juste de dire « merci » et de rappuyer sur « Play ». « Go back to those gold soundz… »