Baby par Lloyd Cole, sur l’album Love story (1995, Rykodisc)
Je ne connais rien ou presque de la discographie de Taylor Swift, mais on doit à la méga-star US au moins une chanson merveilleuse, cachée dans les bonus de son album Evermore de 2020. La chanson s’intitule Right where you left me et elle dresse le portrait d’une femme gelée, pour qui le temps s’est arrêté au moment où son amoureux l’a quittée. Un quart de siècle avant ce morceau réellement magnifique, Lloyd Cole, figure de l’indie-pop britannique avait su, lui aussi, décrire cette douloureuse sensation de s’enliser dans des heures immobiles après la fin d’un amour.
Au cœur d’un album pétri de mélancolie mélodieuse et au romantisme à hauteur d’homme, qui voyait Lloyd Cole retrouver une inspiration de premier ordre, Baby ne cesse, depuis trente ans, de faire résonner dans nos tympans son doux balancement de berceuse. Le morceau s’ouvre sur une mélodie de boîte à musique, tandis qu’on peut entendre le son du mécanisme que l’on remonte. Un fond sonore nébuleux vient ajouter un halo onirique à l’ensemble, avant que le chant tout en douceur de Lloyd Cole n’entre en scène. Le protagoniste est là, à perdre son temps, errant au bord de l’eau dans une ambiance qu’on imagine volontiers automnale. Peu importe en fait où il se trouve, il ne le sait pas lui-même et il s’en fiche : I could be most anywhere / But I do not care, no, not where I stand. A la différence de la protagoniste de la chanson de Taylor Swift, celui de Lloyd Cole est en léger mouvement, arpentant la berge, mais lui aussi se remémore les mots qu’on lui a dit, de ceux qui ferment une histoire et ont (temporairement ?) mis son existence en pause. Baby saisit ce temps suspendu à la perfection, lui confectionnant un écrin d’une grande finesse, enluminé par de subtils arrangements de cordes, masquant la douleur sous des airs de comptine. Le doux ressac de la chanson retranscrit parfaitement cette vie qui tourne en rond, ces pensées circulaires qui font de chaque pas les étapes d’une existence figée. A un moment, Lloyd Cole paraît reprendre espoir, se payant de fantasmes dans lesquels son amour évanoui viendrait le remettre en mouvement : Maybe one day, she’ll call me up and say, « Goddam, you your baby’s crying, And I’m lonely come home ». Mais on sent bien qu’il n’est pas dupe, enfin, pas vraiment. En attendant, notre homme ouvre ses souvenirs comme on ouvre une boîte à musique, ressassant la mélodie de son amour enfui, bande-son d’un temps heureux qui aujourd’hui n’est plus.
Tout de finesse et de subtilité, percluse de romantisme et de nostalgie, Baby s’est ancrée dans ma mémoire telle un air de boîte à musique, petite mélopée triste et belle qui flotte autant qu’elle brille.
Sur ces quelques notes limpides, je vous donne, pour ma part, rendez-vous en 2026 et vous souhaite d’excellentes fêtes de fin d’année.



