This is hardcore par Pulp, sur l’album This is hardcore (1998, Island)
Propulsé sur le devant de la scène par l’entremise de la déferlante brit pop, Jarvis Cocker (tête pensante de Pulp pour qui l’ignorerait) allait bientôt s’apercevoir réellement à quel point cette lumière si longtemps convoitée pouvait causer autant de brûlures que d’éblouissement. Et alors que le groupe aurait pu se contenter de dupliquer les plans pailletés de Different class, Pulp livrait avec This is hardcore un somptueux précis de décomposition constellé d’idées noires. Malgré leur gueule de bois et leur yeux fatigués, les chansons de This is hardcore se jouent dans l’ombre des boules à facettes. Douze ans après les poussées paranoïaques et les frustrations maladives de Freaks, c’est un peu comme si Jarvis Cocker faisait remonter à la surface les côtés sombres de sa psyché.
Niché au cœur de cette flamboyance viciée, le morceau titre s’élève tel un pic majuscule, vibrant de fièvre et de moiteur, suintant de décadence hollywoodienne. This is hardcore sidère par une puissance dramatique peu commune, déroulant devant nos oreilles conquises une fantasmagorie aussi étouffante qu’imposante. La chanson toute entière ressemble à une lente montée orgasmique, filant une métaphore sexuelle explicite mais signifiant tout autant que vivre sa vie à travers un fantasme ne peut que générer une infinie frustration. Dans sa construction, This is hardcore s’enroule progressivement autour d’une boucle de batterie, différents instruments venant peu à peu s’ajouter à l’ensemble : un sample cuivré aux atours menaçants, une ligne de piano ombrageuse qui se dédouble en notes mélancoliques. Une minute trente s’écoule avant que n’apparaisse Jarvis Cocker, magistral en narrateur obsessif, dont chaque inflexion de voix semble noyée dans un débordement de désir fiévreux. C’est maintenant que le fantasme doit prendre vie, après tant d’attente : I’ve seen all the pictures I’ve studied them forever, le rêve doit prendre forme (you gotta take these dreams and make them whole). Le morceau atteint son climax aux alentours de 3’40 dans une furia de guitares rougies sur un lit de cordes, et c’est alors que This is hardcore touche un niveau de grâce supplémentaire. Parvenu à cette sorte de haut plateau, claviers et cordes viennent encore envoler l’ensemble, dans une atmosphère onirique où le brouillement des sens laisse notre protagoniste, et l’auditeur, aussi extatique que désemparé, face à cet implacable constat : And then it’s over.
Sommet d’un disque qui n’en manque pas, This is hardcore condense toutes les qualités de Pulp, groupe définitivement à part au milieu du troupeau de la brit pop : la flamboyance théâtrale, le goût du film noir, le désir et son assouvissement et donc la frustration… On y retrouve aussi un Jarvis Cocker magistral, metteur en scène à part égale touchant et cabotin, et dont il ne faudrait pas oublier quel interprète exceptionnel il peut être. Bref, This is hardcore demeure à mes yeux la plus grande chanson du répertoire de Pulp, et This is hardcore probablement son meilleur album. D’autres d’ailleurs l’ont écrit mieux que moi…



